Jusqu'à récemment les épreuves connues de la
Pandore de Pradier présentaient des
caractéristiques similaires. Seules quelques variations
dans le choix des ornements les
différenciaient les unes des autres. Mais la redécouverte
d'un grand exemplaire « impudique », seul connu à ce jour, confère à l'interprétation de cette
uvre une dimension insoupçonnée. Il s'agit selon toute
vraisemblance de la première grande épreuve de la statue,
celle-là même qui figura au Salon de 1850-1851 et à
l'Exposition universelle de Londres en 1851. A la demande de
la Galerie des Modernes (Paris), propriétaire
actuelle de cette épreuve, nous faisons le point sur son histoire et sur la place qu'elle occupe dans la production artistique de
Pradier.
I. Les deux Pandore de Pradier
Le sculpteur James Pradier (Genève 1790
Rueil 1852) a connu de son vivant une célébrité
dont on comprend mieux lampleur et la diffusion en
France et en Europe à la lumière dimportantes
réalisations récentes. En 1985-1986 eut lieu à Genève
(Musée dArt et dHistoire), puis à Paris (Musée du Luxembourg), la première
exposition rétrospective de son uvre, accompagnée
dun catalogue rédigé par J. de Caso, G. Garnier,
C. Lapaire, I. Leroy-Jay Lemaistre et D. Siler (Statues de chair, Chaîne dÉditions, Genève,
1985, 404 pages). La Correspondance de Pradier
était déjà en cours de publication par les soins de D. Siler
(Librairie Droz, Genève, 3 volumes parus). Le renouveau
dintérêt dont les musées, les collectionneurs et le
marché dart témoignent aujourdhui pour
luvre était initié. Une « Salle
Pradier » existe maintenant au musée dArt et
dHistoire de Genève lequel conserve le fonds
datelier du sculpteur et au Louvre. Enfin, un
site Pradier vient dêtre créé sur lInternet (http://www.jamespradier.com), animé par
D. Siler. Il offre un bulletin périodique dinformations
biographiques inédites et des études critiques sur le sculpteur et
ses commanditaires, sur lhistoire des uvres et sur
leur réception dans les milieux artistiques et littéraires français et
européens. Il a aussi vocation de compléter le catalogue
des sculptures et ne néglige pas le phénomène de la
popularité croissante sur le marché dart international de
la sculpture en bronze « portable », un art que, dès
lépoque du romantisme, Pradier, plus que
dautres, avait contribué à faire entrer dans son plein
essor.
En plus de nombreux portraits en buste et de plusieurs
bas-reliefs historiques, luvre « à
figures » de Pradier se répartit principalement dans trois
catégories distinctes à dimensions et significations diverses:
« monuments » sur la voie publique;
« statues » de dimensions généralement
proches de celles du modèle humain, présentées
aux Salons et aux Expositions; enfin, sujets
« portables » de petites dimensions,
quils aient été créés comme réductions des
statues ou quils en soient la « première
pensée ». La Pandore en bronze
(haut. 94,7 cm) de la Galerie des
Modernes fondue par léminent fondeur Eugène
Gonon 1, appartient cependant à une
quatrième catégorie car ses dimensions savèrent plus
grandes que ne le sont généralement celles du petit sujet
portable, mais plus réduites que celles du modèle « grandeur nature ».
Du temps de Pradier, on appela souvent cette production,
avec une certaine confusion, la « statuette ».
Pradier en adopta la terminologie et le format dans
plusieurs figures, particulièrement en bronze, dont
la Pandore, à partir des années 1840.
Les sujets des statuettes de Pradier, grandes et petites, se
confondent avec ceux de ses grandes figures. Là, comme le
firent ses contemporains poètes et artistes, Pradier s'inspire
largement de la mythologie et de lhistoire légendaire
antiques. Cest cet aspect de son art qui se révèle
aujourdhui dans les musées (Genève, Paris, Lyon,
Nîmes, Toulouse, Grenoble, lHermitage...) où sont
conservées les grandes statues masculines et féminines nues
ou drapées quil exposa régulièrement au Salon et qui
lui valurent les éloges ou les attaques des grands
écrivains et critiques dart de son temps. Les
personnages quelles représentent sont les dieux et les
héros de lantiquité classique dont Pandore.
Pradier, toutefois, se distingua des sculpteurs de son temps
dans les représentations des personnages féminins. Dès ses
débuts, il fit exprimer au nu une identité plastique
provocante qui le dispute à ce que lanecdote seule
« lhistoire » de Pandore
pouvait et peut encore aujourdhui évoquer chez le
spectateur. Pradier poursuivit une esthétique de la
« nudité intrinsèque », celle, dirait-on, qui
se suffit à elle-même en tant quuvre
dart. Ses critiques et ses panégyristes comprirent
vite que le meilleur de son art se fondait sur une
exploration on dirait aujourdhui exploitation du corps féminin érotisé et disponible. Ainsi, dans
sa conception des objets et destinations de la sculpture,
Pradier fut lhéritier des sculpteurs sensualistes du
XVIIIe siècle et lon peut justement voir en lui un
ancêtre de Rodin. Pour érotiser le corps féminin, il usa
peu du geste, de la pose ou de la mimique dun
personnage; il joua plutôt dune complicité habilement
ménagée entre le nu et le vêtu. Dans
plusieurs cas, il conçut deux sculptures identiques
représentant un même nu et en fit deux uvres
différentes en « habillant » lune et en
« déshabillant » lautre. Cette démarche
créatrice mettant en uvre une simultanéité sérielle
lui fut propre. Dans le cas de la Pandore, il
lutilisa avec retenue, mais en virtuose.
De quel sujet, dabord, sagit-il?
Lesthétique de la « nudité
intrinsèque », nexclut pas nécessairement chez
Pradier une réflexion sur la signification du sujet, bien au
contraire. Pradier sapproprie avec Pandore un mythe
grec riche de signification allégorique. Ce mythe fut
transmis, après Hésiode, par différentes traditions
offrant des interprétations diverses. Mais, sans nul doute,
dans le sens quon lui prêta généralement du temps de
Pradier, il se trouva chargé pour le sculpteur dune
forte résonance intime. Pandore est la « première
femme », dotée par la plupart des dieux des qualités
qui les identifient, Aphrodite, la beauté, Athéna,
lactivité intelligente, Apollon, la musique, etc. Elle
reçut aussi dHermès le don du mensonge et de la
fourberie. Zeus lenvoya sur terre pour punir la race
humaine en lui remettant une « jarre » contenant
tous les maux ou, selon une autre tradition, tous les biens.
Par curiosité, elle louvrit, sans toutefois laisser
séchapper lEspérance. Pour la plupart des
interprètes, le mythe exprima une conception essentiellement
pessimiste et critique de la nature, conduite et moralité de
la femme. Lart et la littérature, au cours des
siècles, sen inspirèrent. Le choix par Pradier du
sujet de Pandore nétonnera pas. Ce quon sait de
la vie du sculpteur et ce que lon voit dans les
différentes versions de la Pandore, éclairent les
raisons de son choix.
La Correspondance
et dautres témoignages permettent de suivre
lévolution de la vie conjugale de Pradier et
de Louise dArcet; elle aboutit,
en janvier 1845, après un constat dadultère,
à une séparation légale. Belle et, selon ses
contemporains unanimes, « libérée » (on sait
quelle a servi de modèle à Flaubert pour
lhéroïne de Madame Bovary) 2,
Louise a visiblement exercé sur Pradier une
fascination profonde et durable. Il a laissé
delle de nombreux portraits et a reproduit ses
traits dans plusieurs statues.
James Pradier, Portrait de son épouse Louise tenant l'un de leurs enfants. Musée de Besançon. |
Si la Pandore nest pas, à proprement
parler, un portrait, il nest pas un hasard que
Pradier en ait réalisé le modèle immédiatement après
la séparation. Louise était devenue pour lui, dans les
dernières années de leur mariage, lincarnation
de la femme néfaste, une abondante correspondance
en témoigne:
La blessure que tu ma faite est
profonde et sera éternelle. Si jy survis tu
béniras Dieu qui me conservera pour veiller sur tes
enfants [...] je saurai apprécier les efforts que tu
feras pour me faire oublier, sil se peut, et
racheter les infâmes douleurs dont tu mas
accablées avec tant de sang-froid. (Correspondance, t. II, p. 223
[1841].)
Plus tard, Maxime du Camp consignera les aveux
de Louise:
Quand jai épousé Pradier, [...] je me suis
vue [...] appelant les poètes et les compositeurs [...].
Javais rêvé que je serais une sorte de Médicis dont
le salon serait un terrain neutre [...]. Je nai pas pu;
quelque chose dindéfinissable ma poussé, à
quoi je nai su résister; jétais comme enlevée
par un cheval emporté. Je puis dire que je ne regrette rien;
il meût été impossible de ne pas faire ce que
jai fait [...] cest plus fort que moi. (Mémoires dun vieil homme de lettres, ms. inédit.)
En 1845, lannée de la séparation et
celle où il conçoit la Pandore, et au cours des
années suivantes, Pradier inclut parmi ses grandes
statues et (grandes) statuettes, des femmes antiques
tragiques et fatales, Sapho, Médée, la Danaïde, et écrit
à son avocat:
Dix sculpteurs ne pourraient, en travaillant
fortement, faire ce que jai fait. Étant trompé, ne
sachant rien, jallais, jallais, et enfin le mal
à son comble vint jusquà moi. [...] comment
pourrai-je reprendre mes travaux et quel espoir puis-je avoir
pour mes pauvres enfants? (Correspondance,
t. III, p. 126 [1845].)
Que Pradier se soit entièrement investi dans le mythe de Pandore ne surprendra pas.
Il nexiste aujourdhui de la Pandore
quun petit nombre dexemplaires en marbre et en
bronze. On notera quà la différence de la plupart des
grandes statues et des autres grandes statuettes de Pradier,
il ne semble pas quelle ait été éditée et
commercialisée sur une grande échelle en bronze ou en
plâtre, du temps de Pradier ou posthumement, dans les
dimensions de la sculpture « portable ». Plus
remarquable encore si lon sinterroge sur la
signification de luvre et sur son identité
artistique, on voit que Pradier exécuta la Pandore
dans deux types concomitants et pratiquement simultanés. Bien
quen gros, les mêmes, seules de légères variantes
les différencient dans le vêtement et les ornements. Mais
ce qui pourrait savérer, à première vue, un détail
de la composition de chaque type, les distingue quant à leur
signification. Cette distinction réside dans la configuration que
Pradier a donné à la partie du drapé qui couvre ou
découvre le sexe. Dans la Pandore
« pudique », le type dont on connaît
aujourdhui le plus dexemplaires, le drapé,
masquant le sexe, descend et empiète sur la cuisse gauche.
Par contre, dans la Pandore
« impudique », le type dont la
Galerie des Modernes
possède le seul exemplaire connu en bronze, le drapé, plus
court, dégage entièrement la même cuisse en ménageant
dans ses plis une profonde « ouverture » dans la ligne
de mire du spectateur. Pradier permet ainsi à ce dernier de
contempler le sexe dévoilé de Pandore lorsquil se
place dans la position non partagée et précaire du voyeur,
car tout déplacement latéral ferait disparaître son
avantage.
Lartifice optique qui laisse au
spectateur le choix de « voir » ou de « ne
pas voir » et qui se trouve, en fait, implanté dans la
composition de la statue, na pas précédent dans
lhistoire de la sculpture sérieuse ayant pour objet le
corps féminin. Pradier rattache ainsi la Pandore
« impudique » au genre et à lusage de
lobjet érotique brut, opéré et opérant
par manipulations. La dimension et la facture achevée
de luvre prêtent néanmoins à la
Pandore
une signification plus élevée et plus ambitieuse que celle
que laisserait entendre le statut artistique et social
dune simple sculpture de fumoir. Par le biais de la vue
étroite et privilégiée que Pradier ménage du sexe
dévoilé du personnage, la Pandore
« impudique » invoque un éventail de croyances
ataviques sur la « fenestralité » de la femme et
bien dautres choses encore concernant la féminité,
ses milieux, ses conduites et sa disponibilité. Cette
sculpture se pose donc en témoignage majeur et unique de la
culture artistique et érotique du temps de Pradier.
Laudace de la vision de Pradier, bien quexprimée
dans une figuration du sujet et un langage plastique qui lui
sont propres, anticipe le modernisme du Courbet de LOrigine du monde. Elle donne à la Pandore« impudique » une originalité et une actualité saisissantes qui font de lexemplaire proposé par la Galerie des Modernes une pièce dun intérêt exceptionnel dans la production de Pradier.
II. La Pandore du vivant de Pradier (1845-1852)
Suivons maintenant, dans l'ordre chronologique, les principaux
événéments qui ont ponctué l'histoire de cette œuvre,
depuis sa création en 1845 jusqu'à la disparition du sculpteur en
1852.
Fin juin 1845: Selon le Journal
des Artistes, Pradier termine alors le modèle en terre
de la Pandore, modèle sans doute en rapport avec
deux dessins acquis à la suite du décès de Pradier par le Musée dArt et d'Histoire de Genève
et identifiés par son ancien élève Eugène Lequesne comme
étant chacun une « première pensée » de la
statue. Sur le plus grand et le plus détaillé (inv.
1852-66), la draperie descend moins bas que sur lautre
(inv. 1852-67) le long de la cuisse gauche. Plusieurs traits
de crayon plus épais semblent indiquer un repentir ou un
ajout dans la configuration des plis de la draperie à
lendroit du sexe. Dans les deux cas, la statue est du
type « impudique ». Un autre dessin, non
localisé, est attesté par un texte de Jules Laurens, La
Légende des Ateliers, 1901.
4 septembre 1845: Déçu par la qualité dun bloc
de marbre des Pyrénées (St Béat) quil avait
commandé pour la Pandore, Pradier sollicite, pour le
remplacer, un morceau de marbre grec. Il indique que si
luvre était exécutée dans ce type de marbre,
B. Delessert, qui avait déjà acquis sa statue de Phryné,
« la prendrait parce que je lai faite pour
faire pendant [à la Phryné] ». (Lettre
de Pradier au comte de Cailleux, inédite, coll. privée.)
1846: La Pandore a-t-elle été coulée en bronze dès 1846? Cf. catalogue de la vente
« Nineteenth Century Sculpture »,
Christies, Londres, 14 février 1991, p. 46: « 92 A FINE FRENCH BRONZE FIGURE OF PANDORA [...] The original bronze figure was completed in 1846, and Pradier sent it as one of his most important works to the Salon of 1850. » Cette affirmation est, à notre connaissance, non documentée. On s'explique mal d'ailleurs pourquoi Pradier aurait attendu quatre ans pour présenter son uvre au Salon.
1849 (?) : Selon John Pradier (Cahiers des enfants, 12 juin 1876), qui tenait cette information de Poggi, lancien praticien de son père, Pradier aurait
exécuté une petite réduction en marbre de la Pandore
et laurait donnée au duc de Leuchtenberg 3.
28 juillet 1850: Pradier rédige son testament. Il
nénumère que les uvres sur lesquelles des
montants lui restaient dus à cette date: la Pandore
ny figure pas.
30 décembre 1850 au 1er mars 1851: Pradier expose cinq ouvrages au Salon, dont: « N° 3563 Statue de Médée, bronze. N° 3564 Pandore, Statuette, id.; Appartenant à S. M. la reine dAngleterre. » Peu avant
louverture du Salon, Pradier les mentionne dans une
lettre adressée le 4 [décembre 1850] à son ami
Bizalion à Arles, et spécifie leur format: « deux
statues de 1/2 grandeur en bronze » (autogr. non
retrouvé, copie à la Bibliothèque publique et
universitaire de Genève).
La Médée est conservée à Osborne House, Isle of
Wight et décrite dans le Catalogue of the Paintings,
Sculptures and other Works of Art at Osborne, 1876, p. 277: « Medea [...] Reduced copy by Lassi of the statue by J. Pradier, 1850, Purchased by the Prince
Consort in 1851, No 733. Height 3' - ¾ [93,35 cm] ». Elle porte une inscription: « Fondu par Gonon ». Le 28 janvier, 1985, le Surveyor of the Queens Works of Art écrivait que le Royal Library ne conservait aucune
archive concernant Pradier.
James Pradier, Médée. Plâtre. Genève, MAH. |
C'est donc la Médée
qui est entrée dans les collections de la couronne
et non la Pandore, contrairement à ce
quindique le catalogue du Salon. Cf. Claude
Vignon [Noémi Constant], Salon de 1851,
Paris, 1851, p. 33: « [la Médée] a
été commandée à M. Pradier par S.M. la Reine
dAngleterre, qui avait reçu de lui
lhommage de la Sapho. ».
Un dépouillement systématique des
nombreux comptes rendus critiques de la sculpture du
Salon de 1850-1851 reste à faire. La Pandore
semble avoir été seulement mentionnée dans les
revues et journaux les plus lus. Ils répètent la
rumeur de son acquisition ou de sa commande
par la reine dAngleterre. Dans la Revue des
Deux-Mondes un critique mal renseigné adresse à
la Médée (entièrement vêtue) un reproche
dimpudicité qui ne peut sappliquer
quà la Pandore: « [...] La
pruderie britannique ne trouvera-t-elle rien de
shocking dans lajustement des draperies dune statuette de Médée
faite pour la reine Victoria? » (L. de Geofroy, « Le Salon », dans Revue des
Deux Mondes, t. 9, 1er
mars 1851, p. 963). Lequel des deux types avait-il vu?
1er mai 11 octobre 1851:
Exposition de la Pandore, décrite dans le catalogue
officiel rédigé en anglais comme « a bronze
statuette. Exhibited for execution », à
lExposition universelle au Crystal Palace, Londres, en
même temps que la Phryné en marbre appartenant à B. Delessert et à laquelle, de laveu de Pradier, elle
devait faire pendant. Le catalogue rédigé en français la
décrit comme « une petite statue en bronze » et la qualifie de « bronze unique ».
James Pradier, Pandore.
Bronze. Paris, Galerie des Modernes. |
|
James Pradier, Phryné. Marbre. Musée de Grenoble. |
Juin 1851 juin 1852: Après un séjour à
Bordeaux en juin 1851, Pradier écrit à l'homme de lettres
bordelais J. Saint-Rieul qu'il a l'intention « de
faire hommage au Musée de Bordeaux dune délicieuse
statue de bronze, dont la première épreuve, exposée à la
grande Exposition de Londres, avait été achetée par la
reine Victoria pour son palais de Windsor »
(lettre non retrouvée, citée par J. Saint-Rieul, « Mort de notre grand statuaire Pradier », dans Courrier
de la Gironde, 8 juin 1852). A notre connaissance aucune
épreuve de la Pandore n'a été acquise par la
reine Victoria. Il s'agit peut-être de la Sapho debout
dont une épreuve figura à l'Exposition de Londres parmi les
productions du fondeur Victor Paillard. Une autre épreuve de
cette uvre, mesurant 89 cm. et portant l'inscription « J. Pradier
1848, Lebeau Fdeur », est conservée dans les
collections de la Couronne d'Angleterre à Osborne House (voir
Statues de chair, p. 158, note 1).
III. La Pandore après la mort de Pradier
30 juin 13 juillet 1852: Rédaction de linventaire après décès de Pradier. Y figurent une Pandore en bronze, « demi nature » et « une statue en marbre représentant Pandore, à létat de première ébauche ». Dans les déclarations sur le passif, « Les parties déclarent en outre quil pensent dépendre de la succession, savoir: 1° le
droit de propriété complète pour la reproduction soit en plâtre soit en bronze des statuettes ci-après: [...] figure de Pandore [...] ».
26, 27 et 28 juillet 1852: Vente après décès. Dans
le Catalogue figurent « Ouvrages terminés.
3. Pandore. Statue en bronze dun mètre de
proportion. Pandore, parée dun riche diadème, tient
le vase qui renferme tous les maux qui doivent se répandre
sur la terre » et son « modèle en petit »: « Statuettes. 11. Pandore. Modèle en petit du bronze numéro 3, à vendre en
toute-propriété avec le
moule servant à sa reproduction en plâtre.[...] ». Il
est possible, dans ce genre de catalogue, que les rédacteurs
naient pas prêté attention à la configuration de la
draperie qui permet de distinguer la Pandore en
bronze de type « impudique » de celle représentée par le petit exemplaire de type « pudique », ou
quils naient pas jugé bon de consigner cette
différence si les deux uvres en montraient une.
La Pandore en bronze (n° 3) aurait été
acquise par Denière, un important fabricant de bronzes, pour
1 000 francs, « quoique cette acquisition
n'emportât aucun droit de reproduction » (« Tablettes »,
dans Le Mercure de France, 1er août 1852).
Le n° 11, modèle en petit de la Pandore, a
peut-être été acquis par le fondeur E. de Labrouë qui en
assura la diffusion. Plusieurs exemplaires en sont connus qui
portent la marque de ce fondeur. Un exemplaire figure dans
les collections du Musée Fabre de Montpellier (inv. 97.3.2):
Pandore, bronze argenté, fonte à la cire perdue,
haut. 41 cm, inscrite sur la terrasse: « Pradier Scpt / E. De Labroue Fbt. » Il
est du type « pudique » et paraît identique à
lexemplaire du Musée dArt et dHistoire,
Genève, en bronze doré, haut. 40,5 cm, signé « Pradier scpt », sans marque de fondeur (voir Statues de chair, notice 18).
20 mai 1854: L« État liquidatif de la
succession de M. Pradier » indique que le
Conseil de famille de Pradier alloue 12 000 francs à
Lequesne pour lachèvement en marbre de trois statues:
la Pandore, un Guerrier mourant et une Baigneuse.
Lequesne est investi du pouvoir de « vendre aux
personnes et aux prix et conditions quil jugera
convenables les statues et statuettes laissées en commun ».
16 août 1854: Dans un rapport consacré aux marbres
des Pyrénées, M. Rondelet, conservateur du dépôt des
marbres du gouvernement, mentionne que la Pandore a été taillée dans du marbre de St Béat (cf. 4 septembre 1845) et quà cette date Lequesne navait pas terminé tout à fait cette statue (A.N.).
15 mai 15 novembre 1855: Exposition
universelle de 1855, Paris. Sur le triptyque Le Jardin
dArmide dÉdouard Muller (papier peint,
Musée des Arts Décoratifs, Paris), la statue
dArmide représentée au milieu du tableau central est la réplique, grandeur nature, de la Pandore de
Pradier.
cliquez pour agrandir
Édouard Muller, Le Jardin d'Armide (détail). Papier peint. Paris, Musée des Arts décoratifs. |
Ce tableau, flanqué à gauche du tableau Les
Prodigues de Thomas Couture et, à droite, du
tableau LAutomne, ou la Bacchante
endormie, dAuguste Clésinger
(daprès sa Femme piquée par un serpent,
Salon de 1847), faisait partie du stand de la
manufacture Jules Desfossé. Lensemble
sintitulait Les vices et les vertus. Liconographie
"galante" du papier peint met en évidence
lérotisme de la Pandore
Sur les reproductions du tableau de Muller, il est
difficile de déterminer si la figure « graphique »
dArmide représente réellement limage
dune Pandore « pudique » ou
« impudique » bien que la comparaison des
draperies de lArmide/Pandore avec
celles des Pandore « impudiques » puisse
inciter à reconnaître en elles un agencement
« impudique" » 4.
19 juillet 1855: Vente dans lancien atelier de
Pradier à lInstitut. Y figurent « un modèle
en plâtre de la statue de Pandore entièrement exécuté par
Pradier, également sans droit de reproduction, 205 fr. »
et « la Pandore, statue en marbre de grandeur
naturelle, qui na pas trouvé damateur, même au
prix surbaissé de 3.000 fr. » (Revue des Deux Mondes, 15 septembre 1855, p. 322.)
27 juin 1857: Dans Le Monde illustré du 27
juin 1857, p. 16, illustration hors tout texte d'une gravure
sur bois représentant « Pandore, marbre de
Pradier. / Appartenant à M. Émile de Girardin ». Cette gravure semble montrer une version « impudique » de la statue, proche de la
Pandore de Jodoigne (voir ci-après). Il sagit
vraisemblablement de la même uvre et il est probable
que sur la gravure la draperie découvrant le sexe ait alors été rendue plus « pudique ».
cliquez pour agrandir
James Pradier, Pandore. Le Monde illustré, 27juin 1857. |
|
Émile de Girardin vu par Nadar |
1871: Après un séjour de 20 ans en Égypte, le belge Hector Defoër (Jodoigne 1832-1905) sinstalle à
Paris et acquiert, à une date non déterminée, une Pandore en marbre, grandeur nature, de type
« impudique ». On ignore sil a acquis la
statue pendant quil résidait à Paris ou après avoir
emménagé dans son « château des Cailloux » à
Jodoigne, construit en 1883. Cette statue se trouve toujours
au château, qui abrite aujourdhui linternat de
lAthénée royal de Jodoigne (voir Marc Verdickt et
Bernard Van den Driessche, Le Château des Cailloux.
Hector Defoër. Jodoigne, Jodoigne, 1990, p. 83.)
Dune hauteur de 180 cm, socle compris, et de 165 cm
sans le socle, elle est signée et datée « J. Pradier 1855 » sur un petit rocher derrière le
pied gauche. La date étant gravée à plusieurs cm. de
distance au-dessous de la signature, il est possible que la
signature dEugène Lequesne ait figuré dans
lintervalle et quelle ait été grattée. Cette
uvre ne diffère du bronze de la
Galerie des Modernes que par sa
taille et par labsence danses sur l'urne.
James Pradier, Pandore. Marbre. Jodoigne (Belgique). |
|
James Pradier, Pandore. Bronze. Paris, Galerie des Modernes. |
13 juin 1876: John Pradier consigne dans ses Cahiers des enfants quil a trouvé « chez Normand, marchand de bronzes, place Vendôme » une Pandore en bronze, très grand modèle, et une autre en marbre, de petit format.
25 avril 1877: Vente dun exemplaire de la Pandore (bronze? marbre? hauteur? type?) à lhôtel Drouot. « Je vais à la Salle Drouot où se trouve la Pandore de mon père mise en vente demain pour le compte dun baron XXX. » (John Pradier, Cahiers des enfants, 24 avril 1877.)
3 juin 1881: Vente sur licitation du droit de
reproduction des uvres de Pradier. « Sixième
lot. 1° Pandore, figure debout. »
14, 15, 16 et 28 mai 1883: Vente Émile de Girardin.
Aucune trace de la Pandore dans lexemplaire, non annoté, du catalogue de vente consulté à la Bibliothèque de lÉcole du Louvre.
21 avril 1890: Vente dune Pandore en marbre blanc sur socle en marbre griotte, haut. 50 cm, socle
compris, vente Ducatel, 21 avril 1890, n° 500.
13 mai 1895: Vente dune Pandore en marbre blanc sur socle en marbre griotte, haut. 57 cm, sans
le socle, vente de X.. (Truchy), 13 mai 1895, n° 39.
1961: Une épreuve
en bronze de la Pandore, à patine dorée,
type « pudique », signée « Pradier
scpt », dune hauteur de 40,5 cm, est
acquise par le Musée dArt et dHistoire
de Genève. Cette épreuve a figuré à
lexposition Statues de chair en
1985-1986 (cat. n° 18).
Indépendamment de sa dimension et de
sa patine dorée, qui lui confèrent un caractère
« dobjet dart », elle
présente des variantes par rapport à la
Pandore de la Galerie des Modernes.
Un long sautoir de
perles dor porté en bandoulière anime la
nudité du côté droit, tandis quun double
rang de perles dor remplace le bracelet serpent
à la cheville gauche. Le bas-ventre est entièrement
dissimulé sous les plis de la draperie. La terrasse
est simple, assez plate et démunie
dinscription, tandis que la version de la Galerie des Modernes est montée
sur un socle mouluré à lAntique, où le nom de
Pandore est gravé en lettres grecques.
6 juillet 1977: Vente dune Pandore en marbre blanc, de type « pudique », dune hauteur de 64 cm portant les deux signatures: E. Lequesne et J. Pradier, Sothebys Belgravia, Londres, lot n° 218. Ce marbre qui est plus proche de la petite version de Pandore ne peut être identifié à celui de la collection Girardin. Une autre petite Pandore en marbre, de 43,8 cm de hauteur et de type « impudique », se trouve aujourdhui dans une collection privée.
14 février 1991: Vente chez Christies dune Pandore
en bronze, type « pudique », haut. 96 cm.
Description du catalogue: « signed J. Pradier, circa
1850s, 37 ¾ in. (96 cm) high. » Restée invendue,
la statue a été cédée ensuite par son propriétaire au
Musée dArt et dHistoire de Genève. Ce bronze
est proche, par sa taille, de celui de la Galerie des Modernes: il ne montre
pas, comme dans les petites
versions, de chaîne à la taille; sa base est également
moulurée et attenante. Cependant, malgré leur hauteur très
légèrement différente, ces deux bronzes ne sont pas
identiques. Contrairement à celui de la Galerie des Modernes, le bronze présenté chez Christies ne porte ni inscription sur lavant de
la terrasse ni marque de fondeur; sa patine est moins nuancée,
lurne est légèrement différente, sans les anses, et les plis
avant de la draperie, plus longs, ne découvrent pas la nudité du
personnage.
27 février 1997: Vente chez Christies, Londres,
dun ensemble de quatre statues en marbre blanc: Pandore et Flore (Chloris)
de Pradier, Hébé de Canova et une Flore ou Vénus dun
sculpteur non identifié. « The property of a
European family [...] Third Quarter 19th century (...) each on a circular base and on a cylindrical stone pedestal with stepped top and base, weathered, restorations. The figures: 57 ½ in. to 60 ¾ in. (146 cm. to 154.2 cm) high. The pedestals: 31 ¾ in (80.5 cm.) high. »
La Pandore est de type « pudique », le
bas-ventre étant entièrement dissimulé sous les plis de la
draperie. Elle est parée dun sautoir de perles porté
en bandoulière et dun simple rang de perles à la
cheville gauche.
James Pradier, Pandore. Marbre. Vente Christie's, 27 février 1997. |
Dautres exemplaires de la Pandore, tous de
petite dimension (40 à 42 cm), ont figuré dans différentes
ventes au cours de ces quinze dernières années. Les
exemplaires en bronze dont nous avons pu voir une
photographie dans les catalogues de vente sont tous du type
« pudique » 5.
Notes
1
Pour fondre les uvres (certains de ses grands monuments et des sculptures de dimensions plus réduites, bustes et
statuettes) quil destina à des commanditaires
exigeants, donc fortunés, Pradier fit appel à des fondeurs
de grande réputation, particulièrement Honoré Gonon
(1780-1850) et son fils et collaborateur Eugène Gonon
(1814-1891). Ce dernier que Flaubert appela « un
homme de génie en son art de fondeur en bronze, à cire
perdue », fut également sculpteur et élève de
Pradier. Les Gonon remirent en honneur lancien
procédé de la fonte à cire perdue, plus coûteux et bien
plus précis dans la reproduction quil permet
dobtenir du modelé du modèle, que celui de la fonte
au sable. Ils rappelèrent que la fonte à cire perdue
dispensait de lusage de la ciselure effectuée par une
main étrangère sur les bronzes fondus dans des moules
« au sable » et répétés en séries. Pradier
utilisa la fonte à la cire perdue pour fondre soit des
pièces uniques, soit des pièces exécutées en un nombre
minime dexemplaires, le procédé nécessitant, pour la
production de chaque exemplaire, la fabrication dun
modèle nouveau identique au modèle original. Plusieurs
uvres de Pradier fondues par Honoré Gonon ou par
Eugène Gonon se trouvent au Louvre et en Suisse.
2
Voir Douglas Siler, Flaubert et Louise Pradier. Le texte intégral des « Mémoires de Madame Ludovica », Paris, J. Minard, coll. « Archives des lettres modernes », n° 145, 1973. Voir aussi, du même auteur, « Du nouveau sur les "Mémoires de Madame Ludovica" », dans Revue dhistoire littéraire de la France, janvier/février 1978, p. 36-46, et « Du
nouveau sur la genèse de "Madame Bovary" », dans Revue dhistoire littéraire de la France, janvier/février 1979, p. 26-49.
3
Selon un autre passage des Cahiers des enfants (8 octobre 1878), il sagissait dune réduction en marbre de Flore (Chloris) et non de Pandore. Le duc Maximilien de Leuchtenberg (1817-1852), fils dEugène de Beauharnais et petits-fils de l'Impératrice Joséphine, avait épousé la fille aînée du tsar Nicolas Ier de Russie. Il présidait lAcadémie des Beaux-Arts à Saint-Pétersbourg lorsque Pradier, en 1849, lui demanda de présenter au tsar son groupe de Vénus et lAmour. Si Pradier lui fit cadeau par la suite dune petite Pandore ou dune autre statuette, ce fut vraisemblablement pour le remercier de ses bonnes offices dans cette affaire. Le groupe fut effectivement acquis pour le musée de lErmitage et sy trouve toujours.
4
Catalogue de l'exposition L'art en France sous le Second Empire, Éditions de la Réunion des musées nationaux, Paris, 1979, p. 124-125 et reproduction en couverture; catalogue de
l'exposition Papiers peints panoramiques, Musée des
Arts Décoratifs, sous la direction de Odile Nouvel-Kammerer,
Union des Arts Décoratifs, Flammarion, Paris,1990,
p. 130-131, p. 158-161 et p. 286-287; catalogue de
l'exposition Thomas Couture, Souper à la Maison d'Or,
Jules Desfossé, Senlis, Musée de l'Hôtel de
Vermandois, Éditions de l'Association des Amis du Musée
d'Art de Senlis, 1998, fig 1, fig 5, p. 23 et p. 27.
5
Voici quelques autres ventes depuis 1990 dont nous avons connaissance:
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26 oct. 1990: Vente Sothebys, New York, n° 176. Bronze, patine brune, inscrit « Pradier » et « Scupt » et « E. de Labroue Fct », haut. 42 cm.. Type « pudique » (voir l'illustration ci-dessous).
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20 février 1992: Vente Christies, London, n° 177. Bronze argenté, inscrit « Pradier Scpt » et « E. de Labroue Fbt », haut. 40,6 cm.
Type « pudique » (voir l'illustration ci-dessous).
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4 décembre 1999: Vente Martinot-Savignat-Antoine, Pontoise, n° 180. Marbre, haut. 40 cm. Type « impudique » (? même exemplaire que le suivant?).
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Mai 2000: Univers du Bronze, Paris. Marbre, haut. 43,8 cm. Type « impudique ».
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22 juin 2000: Galerías Louis C. Morton, Mexico, n° 430. Bronze, fondeur Gautier, haut. 42 cm. Type ???.
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9 juin 2001: Collignon-Laurent, Soissons, n° 91. Bronze, patine brune nuancée, « fonte dédition ancienne de Labroue, signé », haut. 40 cm. Type « pudique » (voir l'illustration ci-dessous).
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Mars 2003: Galerie Micallef, Paris. Bbronze, patine brun médaille, fonte E. de Labroue, haut. 40,5 cm. Type « pudique ».
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12 octobre 2003: Mercier et Cie, Lille, n° 147. Bronze, patine brune, haut. 40 cm. Type « pudique » (? même exemplaire que le suivant?).
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15 février 2004: Mercier et Cie, Lille, n° 108. Bronze, patine brune, signée « Pradier scpt », sans marque de fondeur, haut. 40 cm. Type « pudique » (voir l'illustration ci-dessous).
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Vente Sotheby's, NY, 26 oct. 1990. |
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Vente Christie's, Londres, 20 févr. 1992. |
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Vente Collignon-Laurent, Soissons, 9 juin 2001. |
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Vente Mercier, Lille, 15 février 2004. |
A voir aussi :
→ La fiche technique de la Pandore « impudiqe »
→ La Pandore en diaporama
→ Le site de la Galerie des Modernes
→ Forum: Une Pandore en bronze inscrite « Gautier & Cie »
→ Forum: La Pandore « impudique » de Pradier
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