-
-
Paul Boyer (Bourgogne, 25/12/2011)
Je possède un groupe en terre cuite signé Pradier (hauteur 48 cm, longueur 47 cm). J'ai trouvé grâce à votre fichier de vente aux enchères qu'il est connu sous le nom de Premier pas de Bacchus. J'ai noté certaines différences avec les groupes en bronze; notamment la patte de lion qui repose sur la cuisse droite de la femme allongée sur la terre cuite et qui est invisible sur les groupes en bronze. Mais la différence la plus notable est la richesse des détails sur le groupe en terre cuite, détails qui s'estompent sur les groupes en bronze. Est-il possible que l'on soit en présence d'un original du sculpteur? Ce groupe a malheureusement été abîmé en plusieurs endroits (bras et jambe de la femme cassés et restaurés correctement mais par un non professionnel) et il manque trois orteils de la jambe droite de la femme, le pouce et l'auriculaire de la main droite de Bacchus. J'aimerais avoir, si c'est possible, votre sentiment à propos de cet objet. Voici trois photos:
-
-
Douglas Siler (18/2/2012)
A part la présence de la patte de lion sur la cuisse droite de la bacchante, votre terre cuite semble être identique au plâtre Salvatore Marchi conservé au Musée d'art et d'histoire de Genève. La signature « J. PRADIER » est également en lettres majuscules et gravée au même endroit sur le flanc du rocher:
-
-
Marchi, qui était le principal mouleur de Pradier, propose ce groupe, vers 1860, en « plastique », « imitation terre » et terre cuite dans son album de photos en 51 cm de haut et, sans commentaires, dans son album de dessins. Mais la patte de lion pose problème. En effet, on ne la voit ni sur la photo de l'album Marchi, ni sur le plâtre de Genève, ni sur les épreuves en bronze passées en vente ces dernières années. Aurait-elle été déplacée pour cacher le sexe de la bacchante? Il pourrait s'agir d'une variante réalisée par Marchi lui-même ou d'une variante plus tardive. En tout cas, je ne crois pas que l'on puisse parler d'un modèle « original ». Mais je ne connais pas d'autres exemplaires en terre cuite, ni en plâtre non plus, à part celui de Genève.
Claude Lapaire, dans son récent ouvrage, James Pradier et la sculpture française de la génération romantique. Catalogue raisonné, répertorie (p. 339, n° 244) une variante en bronze dont la bacchante a la jambe droite « couverte d'une ample draperie qui cache également le sexe ». Le petit Bacchus, lui aussi, porte une guirlande de pampres qui entourne ses hanches. Au fait, beaucoup d'œuvres de Pradier existent en deux versions, l'une dite « pudique » et l'autre « impudique ». Voir à ce propos, ici même, l'étude que j'ai rédigée avec Jacques de Caso: Une Pandore « impudique » redécouverte.
A noter que la bacchante allongée est très proche de celle du groupe Satyre et Bacchante de Pradier, qui était également édité par Marchi. Voici une version en terre cuite, vendue le 16 mars 2008 sur ebay:
-
-
Comme vous le voyez, la bacchante a un pan de draperie sur la cuisse droite, à la même place que la patte de lion sur votre Premier pas de Bacchus.
-
Paul Boyer (26/2/2012)
Voici quelques gros plans qui montrent les détails de la sculpture et le travail de l'artiste qui l'a réalisée (on peut voir encore des empreintes de doigt et les traces des outils qui ont servi à modeler l'argile).
-
-
Ces détails me laissent perplexe car dans le cas de moulage ne seraient-ils pas gommés comme sur les exemplaires en bronze que j'ai pu voir? Ou alors, pour les tirages en argile celle-ci était-elle retravaillée en sortant du moule avant d'être cuite? Je n'ai malheureusement pas encore vu l'exemplaire en plâtre de Genève malgré mes recherches en bibliothèque et sur internet mais j'aimerais la voir. Pour être franc avec vous je ne sais pas quoi faire avec cette œuvre d'art; je la trouve magnifique mais si elle a une quelconque valeur je préfèrerais m'en séparer car je ne suis pas un collectionneur. Faut-il faire appel à un musée, à une vente privée, avez-vous une idée de sa valeur et de la marche à suivre?
-
Douglas Siler (27/2/2012)
Merci bien pour les nouvelles photos. Celle de la patte de la peau de lion montre qu’il s’agit bien d’une version « pudique » du groupe. En ce qui concerne la finesse du modelage, je suppose qu’un tirage en argile se fait comme un tirage en plâtre, en versant de l’argile partiellement liquéfiée (?) dans un moule. Mais les détails sont-ils moins fins que sur un plâtre? Et une fois qu’il est sorti du moule peut-on retravailler la surface par des ajouts d’argile avant de le mettre au four? En fait, il ne s'agit pas forcément d'un tirage. Votre sculpture a pu être exécutée directement dans l’argile d’après le modèle Marchi par un copiste habile qui aurait simplement déplacé la patte de lion tout en imitant le reste très fidèlement, y compris la signature. Mais je n’ai pas assez de connaissances techiques pour répondre moi-même à toutes ces questions. Je vais demander l’avis de Claude Lapaire.
-
Claude Lapaire (4/3/2012)
Cet exemplaire de Premier pas de Bacchus est intéressant. Le fait que le sexe de la Bacchante soit masqué par la patte de la peau de lion n'indique pas nécessairement une variante exécutée par Pradier lui-même. Il faut y voir plutôt une intervention de l’éditeur, comme pour le bronze n° 244 [de mon catalogue] dont le bas du corps est drapé et comme nous en connaissons beaucoup d'autres exemples. Je n'ai pas abordé sérieusement cette question des transformations des statuettes de Pradier par les éditeurs. Nous savons que le sculpteur modelait toutes ses figures nues et sans la moindre « feuille de vigne ». Il drapait ensuite celles qui devaient l'être pour des raisons de vraisemblance (pas de pudeur). J'ignore s'il exécutait lui-même les habillages voulus par les éditeurs. La patte de lion griffant le sexe de la belle est assez drôle pour être une idée à lui.
Mais s'agit-t-il effectivement d'une terre cuite? Il est facile de se tromper et de prendre un plâtre patiné terre pour une vraie terre cuite. A faire vérifier par quelqu'un qui s'y connaît vraiment. Une fois cette importante question résolue, on pourra discuter de savoir si c'est un modèle ou pas.
Le MAH a depuis quelques semaines une nouvelle conservatrice des beaux-arts et donc résponsable de Pradier. Je la verrai après Pâques et lui parlerai de ce groupe.
-
Paul Boyer (5/3/2012)
Aucun doute, la sculpture est en terre cuite (elle est d'ailleurs un peu plus rouge au sommet du crâne de Bacchus). Voici une photo de l'intérieur:
-
-
Douglas Siler (6/3/2012)
Merci pour la nouvelle photo. Je l'ai envoyée à Claude Lapaire. J’ai oublié de vous demander quelle est la provenance de votre sculpture et si elle vous appartient depuis longtemps. Vous n’êtes pas apparenté par hasard à un M. Martin Boyer, descendant du sculpteur Eugène Lequesne? Lequesne était élève de Pradier et a terminé ou copié plusieurs de ses œuvres après sa mort en 1852.
-
Paul Boyer (6/3/2012)
Malheureusement j'ai très peu d'éléments sur cette sculpture.
Elle appartenait à mes grands-parents paternels (donc famille Boyer) mais impossible de dire depuis quand. Mon père à décidé de la restaurer il y a moins de 10 ans (elle était très sale et en plusieurs morceaux dans une cagette). A priori nous n'avons aucun lien de parenté avec Martin Boyer mais avec Charles Boyer (le comédien de années 50, mais c'est un autre sujet). Dommage, un lien avec Eugène Lequesne aurait été interessant!
-
Claude Lapaire (18/3/2012)
C’est donc bien une terre cuite. Il s'agit d'une terre cuite d'édition avec toutes ses caractéristiques, comme j'en a vu quelques-unes. La différence de dimensions avec le plâtre [du Musée d’art et d’histoire de Genève] s'explique aussi par le rétrécissement à la cuisson. L'argile n'est pas coulée dans le moule, mais pressée fortement. En lissant l'intérieur, mou, les doigts laissent leurs traces. Aucune des terres d'édition que je connais ne porte de marque d'éditeur. Marchi n’est pas exclu, mais il n'est pas le seul à proposer des terres cuites. Donc: il ne s'agit en aucun cas du modèle original.
-
Paul Boyer (26/3/2012)
Toutes ces explications sont très intéressantes. Elles me permettent de mieux saisir la technique d'édition d'une œuvre en terre cuite et je regarde celle qui est à la maison avec un œil différent! Je vous remercie donc, ainsi que Monsieur Lapaire, pour votre analyse et vos conseils.
-
Participer à cette discussion :
→ Pour participer à cette discussion,
cliquez ici
|