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Galerie Nicolas Vanneste (Paris, 27/11/2015)
Je suis antiquaire et je viens de rentrer un joli bas-relief de James Pradier dont la matière me surprend et je ne trouve aucune information sur ce sujet. Il me semble qu'il pourrait s'agir d'un des premiers essais de galvanoplastie. Et pourtant le montage est XIXe et le cadre magnifique en bois stucqué XIXe (diam. 32,2 cm). Il y a une etiquette d'encadreur au dos. La signature est suivie de la date 1847.
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Pouvez-vous me dire si des œuvres de Pradier en galvanoplastie ont été produites?
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Galerie Trebosc van Lelyveld
(Paris, 7/12/2015)
Nous avons récemment acheté ce médaillon en plâtre dans son cadre d’origine (Diam: 20 cm; 30 cm pile avec le cadre) représentant un jeune garçon de profil. Il n'y a aucune étiquette d'encadreur ou autre ni inscription au dos. Nous pensons qu’il s’agit d’un portrait du fils de Pradier, John, à l’âge de dix ans. La signature se trouve sur la tranche, accompagnée de la date 1846.
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Nous savons que Pradier a portraituré à plusieurs reprises son fils, toutefois ce médaillon n’est pas recensé dans le catalogue raisonné de Claude Lapaire. Qu’en pensez vous ?
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Douglas Siler (14/12/2015)
Pour répondre d'abord à la question posée par la Galerie Nicolas Vanneste, je ne connais que très peu d'œuvres de Pradier produites en galvanoplastie. Claude Lapaire signale une copie du buste du Général Dufour (cat., n° 345) réalisée dans cette matière en 1868 pour la Société des arts de Genève. Il recense aussi une statuette représentant une Femme dans un fauteuil en « galvanoplastie patiné bronze » (cat., n° 524), acquise en 1957 par le Musée d'art et d'histoire de Genève comme œuvre de Pradier mais dont la paternité revient, en fait, à son élève Charles Cumberworth. On peut citer enfin deux exemplaires du groupe érotique Femmes lesbiennes, ou Femmes damnées (cat., n° 429), dont l'un signé Pradier (vente Drouot-Richelieu du 19 déc. 2011) et l'autre J.M. Lambeaux (vente ebay du 22 mars 2012). Mais quoique de nombreux autres exemplaires de ce groupe en d'autres matières portent une signature Pradier, l'attribution à Lambeaux n'est pas à exclure (cf. Forum: Un marbre des Femmes damnées chez l'érotomane Frederick Hankey).
Quant aux œuvres du sculpteur proposées en « plastique » vers 1860 dans l'album de photos de son mouleur Salvatore Marchi, il s'agirait de « plâtre stéariné » (plâtre durci à la stéarine) plutôt que de galvanoplastie. Claude Lapaire mentionne par ailleurs (p. 120) que la maison Susse proposait des reproductions de ses statuettes en « ivoire factice », c'est-à-dire, des « moulages amalgamant des râpures d'ivoire à diverses colles ». Certaines de ses œuvres ont été reproduites aussi en « parian ware » (une sorte de marbre factice inventé vers 1845), en résine et en carton-pâte ou carton-pierre. Il n'est donc pas impossible, me semble-t-il, que le médaillon de la Galerie Nicolas Vanneste soit composé de l'un ou l'autre de ces matériaux. En tout cas il peut s'agir d'une réplique réalisée longtemps après l'œuvre originale datée de 1847.
Mais pour mieux répondre à cette question, il est important d'identifier la jeune femme portraiturée et de voir dans quelle mesure son portrait peut être rapproché du médaillon appartenant à la Galerie Trebosc van Lelyveld. Quand je l'ai vu pour la première fois (catalogue de la vente Aponem du 16 nov 2015), j'ai pensé tout de suite au buste modelé par Pradier en 1846 de la jeune institutrice Adeline Chômat (cat. Claude Lapaire, n° 296) qui s'occupait de ses enfants après sa séparation en 1845 et qui, selon les suppositions de son ami Flaubert, serait devenue sa maîtresse. Comme je l'ai signalé il y a quelques années, un exemplaire en marbre de ce buste, signé et daté de 1852, a été vendu en 1986 par la Galerie d'Arenberg à Bruxelles comme étant une effigie de Claire Pradier, la fille du sculpteur et de Juliette Drouet morte à dix-neuf ans en 1846. Pour ma part, cependant, j'y voyais un portrait de l'institutrice, hypothèse qui fut confirmée en 2007 grâce à la découverte chez l'un de ses descendants d'un exemplaire en plâtre teinté, signé et daté de 1846 (Forum: Adeline Chômat, gouvernante des enfants Pradier). Voici, à gauche, une vue de celui-ci et, à droite, une vue de l'exemplaire en marbre:
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D'après ces images, et d'après quelques autres prises sous d'autres angles, il n'était pas tout à fait évident qu'il s'agissait de deux exemplaires du même portrait. Seul un examen de visu du plâtre a permis de lever tout doute à ce propos. Comme quoi il faut être prudent quand on compare des sculptures uniquement sur base de photos. Ainsi, lorsqu'on juxtapose une photo du buste en plâtre, vu de profil, et la photo du médaillon de la Galerie Nicolas Vanneste, on est tenté d'y voir deux portraits de la même jeune femme:
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Toutefois, quand on les étudie de plus près et à la même échelle, en masquant le socle de l'un et le cadre de l'autre, on en est moins certain:
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Il est certes possible que la jeune femme portraiturée en 1846 ait posé l'année suivante avec une autre coiffure. J'ai pourtant l'impression que ses traits ne sont pas les mêmes: front plus bombé, nez plus rond, lèvres plus charnues, etc. J'hésite donc à tenir pour certain que ces deux portraits représentent le même modèle. Mais le rapprochement entre le médaillon et celui de la Galerie Trebosc van Lelyveld me fait néanmoins pencher dans ce sens. Voici pourquoi:
On constate tout d'abord que leurs cadres ronds sont quasiment identiques:
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Ainsi, malgré les diamètres légèrement différents des cadres (32,2 cm l'un et 30,00 cm l'autre) et malgré l'absence d'étiquette sur le deuxième, il est vraisemblable que les deux médaillons ont été encadrés en vue d'être exposés ensemble. Ce qui donne à penser, en tenant compte de leurs dates très rappochées (1847 et 1846), qu'ils ont probablement été conçus comme pendants et qu'il doit y avoir un lien entre les deux modèles.
A noter en passant que, selon le Guide Labreuche Guide historique des fournisseurs de matériel pour artistes à Paris 1790-1960, l'entreprise Lemaréchal dont l'étiquette est collée au dos du portrait de la jeune femme aurait été active de 1822 à 1836 au n° 23 de la rue de la Monnaie, et de 1837 à 1839 au n° 152 de la rue Saint-Honoré. Ces deux adresses figurent effectivement sur l'étiquette, mais sans les dates. Et les dates 1837-1839 posent problème car le médaillon n'a pu être encadré avant 1847. Mais peut-être sont-elles erronnées, ou bien l'entreprise aurait eu un successeur qui a continué d'apposer son étiquette au-delà de 1839.
Venons-en maintenant à l'identité du jeune garçon. S'agirait-il, comme le suggère la Galerie Trebosc van Lelyveld, de John Pradier à l’âge de dix ans? Là aussi, j'hésite. On dispose de plusieurs portraits de John par son père, dessinés et sculptés. Claude Lapaire recense deux bustes, l'un daté hypothétiquement de 1841, non retrouvé (cat., n° 180), et l'autre signé et daté de 1844 (cat., n° 255). Quatre dessins se rapportant au premier sont connus, dont un en particulier, à gauche ci-dessous, peut être rapproché du médaillon en question (à droite, son cadre masqué):
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La ressemblance n'est pas évidente, même en faisant abstraction de l'intervalle de cinq ans qui sépare le premier portrait du deuxième. Une comparaison avec le buste de 1844 (quoique, malheureusment, je ne dispose pas d'une meilleure vue du profil gauche) ne permet pas non plus de trancher:
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En dernier ressort donc, j'hésiterais à voir dans les deux médaillons des portraits d'Adeline Chômat et de John Pradier, sans pourtant rejeter cette possibilité en tenant compte du fait qu'ils semblent avoir été conçus comme pendants et que, par leurs dates, ils ont pu s'inscrire dans une série d'autres portraits représentant les enfants du sculpteur et leur gouvernante. En effet, outre le buste de celle-ci Pradier a laissé aussi des dessins d'elle, dont un la représentant avec John et Thérèse et l'autre avec Thérèse seule, tous deux signés et datés de 1850:
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Si les deux médaillons représentent effectivement Adeline et John, il est possible qu'Adeline ou ses héritiers les aient fait encadrer à une date ultérieure ou qu'ils en aient fait encadrer l'un pour qu'il soit assorti à l'autre, déjà encadré. On pourrait imaginer aussi que pour une raison ou une autre ils aient fait faire une copie en galvanoplastie du portrait d'Adeline, lequel, à l'origine, a pu être en plâtre comme le portrait de John.
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Adeline Chômat, gouvernante des enfants Pradier
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