On sait le rôle qu'a joué Pradier dans la
vie de Flaubert et comment certaines aventures de sa jeune et
remuante épouse, Louise « Ludovica » d'Arcet,
se sont insinuées dans la trame de
Madame Bovary 1. Ce que l'on
sait moins ou pas du tout, c'est le fait qu'après le décès
de Pradier en 1852, Louise et son fils Jean-Jacques, dit John
(1836-1912), ont continué à voir et à correspondre avec
Flaubert jusqu'à la fin des années 1870 2.
Ainsi, très affecté par la mort de l'écrivain en 1880,
John a pieusement collé sur deux pages de ses « Cahiers des
enfants 3 » les articles qu'on lira ci-après. S'ils
sont peut-être déjà connus des flaubertiens, il
m'a semblé néanmoins utile de les présenter ici dans leur
matérialité typographique, tels que John les a conservés
et annotés. Le premier, paru le lundi 10 mai 1880 dans le
Petit Journal sous les initiales de Thomas Grimm (pseudonyme collectif du rédacteur en chef, Henri Escoffier, et de ses
collaborateurs), n'a sans doute d'autre mérite que
celui de nous apprendre que tout ce que Flaubert a produit
après Madame Bovary n'a « rien ajouté à sa
réputation » (sic!). Par contre les deux autres
articles, publiés sans signature dans le Grand Journal
des mercredi 12 et dimanche 16 mai 1880, apportent
peut-être quelques éléments biographiques nouveaux ou
rarement cités, en particulier les derniers mots que Flaubert aurait
prononcés avant de sombrer dans le coma.
Pour agrandir les deux pages ci-dessous,
il suffit de cliquer une fois sur l'une ou l'autre et
ensuite une deuxième fois sur la nouvelle page qui s'ouvre. Les références et commentaires écrites par John dans les marges ont
été transposées sur les agrandissements en caractères
typographiques afin d'en faciliter la lecture.
John mentionne dans ses notes trois de ses proches parents
qu'il convient de mieux identifier:
-
-
« mon oncle Félix » :
Jean-Charles-Félix d'Arcet (1807-1846), le frère de
sa mère. Chimiste et interne des Hôpitaux de Paris,
il mourut accidentellement dans l'explosion d'une
lampe à pétrole lors d'un voyage au Brésil. Il
connaissait Flaubert, mais, contrairement à ce qu'on
a parfois écrit, il n'a jamais été son condisciple au
collège de Rouen.
-
« M. Darcet » :
Jean-Pierre-Joseph d'Arcet (1777-1844), son
grand-père maternel. Chimiste, il fut directeur des
essais puis commissaire général à l'Hôtel des
Monnaies, quai Conti. Flaubert et le père de
Flaubert l'ont connu très tôt, sans doute par
l'intermédiaire du chirurgien Jules Cloquet, qui fut
l'élève du docteur Flaubert à Rouen. Cloquet avait
épousé en premières noces, en 1817, la nièce de d'Arcet,
Juliette Lebreton (1800-1842), qui était la
fille de sa sur aînée, Julie d'Arcet
(1772-1857), et de Joachim Lebreton (1760-1819),
secrétaire perpétuel de l'Académie des Beaux-Arts
de 1803 à 1815.
-
« M. David, mon beau-frère » :
Jules-Théophile David (1830-1894), qui avait
épousé en 1859 sa plus jeune sur, Thérèse
Pradier (1839-1915). Avoué et financier, il fut
propriétaire du Grand Journal.
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Sur une autre page des « Cahiers », sous la date du 9 mai 1880, John a exprimé cette autre pensée sur la mort de son ami:
C'est ainsi que tout passe ici-bas...mais il y a beaucoup
de choses qui restent aussi et c'est une consolation au
moins pour le travailleur. Que notre pauvre Flaubert
dorme donc du sommeil des preux, car lui aussi c'était
un brave cur et un vaillant. Les uvres
resteront éternellement et son souvenir durera autant
que dureront ses amis. C'est tout ce qu'on peut
souhaiter sur cette terre.
Et un mois plus tard, le 9 juin, Louise Pradier écrira à John:
Je ne puis me faire
à l'idée de la mort de Flaubert. Quel bon ami je perds
en lui. Drôle, Du Camp qui n'était pas au convoi. 4
Émouvant témoignage de la part de celle qui, quelque
trente ans auparavant, avait été l'un des modèles
d'Emma Bovary! Maxime Du Camp, souffrant d'un rhumatisme,
n'a pas pu assister à l'enterrement. Louise Pradier mourra cinq
ans et demi après Flaubert, le 27 décembre 1885, âgée de
71 ans.
Notes
1 Voir mes
publications:
-
-
Flaubert et Louise Pradier: le texte intégral des « Mémoires de Madame
Ludovica », Paris, Minard, Archives des lettres
modernes, n° 145, 1973.
-
« Du nouveau sur les Mémoires
de Madame Ludovica », in Revue
d'histoire littéraire de la France,
janv./févr. 1978, pp. 36-46.
-
« Du nouveau sur la genèse de Madame
Bovary », in Revue d'histoire
littéraire de la France, janv./févr. 1979,
pp. 26-49.
|
2 Voir mon
article, « Autour de Flaubert et Louise Pradier:
lettres et documents inédits », in Studi Francesi, 61-62, gennaio-agosto 1977, pp. 141-150 [+
illustrations intra pp. 64-65].
3 Quarante-cinq
cahiers dans lesquels John a résumé presque
quotidiennement, entre 1872 et 1882, à l'intention de ses
trois fils, les événements de sa vie familiale ainsi que ses
rencontres avec les personnalités et amis qu'il fréquentait
artistes, compositeurs, écrivains, hommes politiques,
etc. dont, souvent, les anciens amis et élèves de
son père. A part les fragments que j'ai publiés ailleurs,
ce document est inédit et mériterait d'être publié dans
son intégralité (archives famille Pradier).
4 Archives
famille Pradier.
A voir aussi :
→
Le site du Centre Flaubert, Université de Rouen
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