Étonnant destin que celui de Maximilien Eugène Joseph
Napoléon, duc de Leuchtenberg. Né à Munich en 1817, de
père français et de mère allemande, il épouse en 1839 la
Grande-Duchesse de Russie, Maria Nicolaïevna, fille aînée
du tsar Nicolas Ier. A sa mort en 1852 à
Saint-Pétersbourg, il préside aussi bien l'Académie impériale
des beaux-arts que la Société pour l'encouragement des arts.
Il possède avec son épouse, qui lui succèdera brillamment
dans ces deux fonctions, une des plus riches collections d'art
du pays.
Mais pour mieux identifier ce
personnage il nous faut remonter deux générations en
arrière, à la Révolution française et au Premier Empire.
Sa grande-mère paternelle n'était autre que Joséphine
Tasher de la Pagerie, épouse en deuxièmes noces de
Napoléon Ier. Joséphine, de son premier mariage
avec Alexandre de Beauharnais (guillotiné en
1794 pour avoir mal défendu Mayence), avait
eu deux enfants: Eugène, né en 1781, futur père de
Maximilien, et Hortense, née en 1783. Hortense épousera en
1802 un des frères de Napoléon, Louis Bonaparte, et
deviendra pour un temps reine de Hollande. Des trois fils nés de ce mariage, seul le troisième,
Charles-Louis-Napoléon, survivra. En 1852 il sera...
Napoléon III. Quant à Eugène, promu général par
Napoléon en 1804 et vice-roi d'Italie en 1805, il épouse en
1806 la fille de Maximilien Ier de Bavière et se
réfugie à la cour de Bavière après Waterloo. Décédé en
1824, il transmet à ses fils les titres de duc de
Leuchtenberg et de prince d'Eichstätt
que lui avait conférés son beau-père.
C'est ainsi que Maximilien de Beauharnais, beau-fils du tsar
Nicolas Ier de Russie et troisième duc de
Leuchtenberg (après son père Eugène et son frère aîné
Auguste),
était le petit-fils de l'impératrice Joséphine, le
neveu de la reine Hortense et le cousin de Napoléon III.
Mais ses liens de parenté avec souverains et souveraines
ne s'arrêtent pas là.
Sa sur aînée, Joséphine Maximilienne Eugénie
Napoléone, épouse en 1823 le roi Oscar Ier
de Suède, lui-même fils du roi Bernadotte et de Désirée Clary, la première fiancée de Napoléon Ier.
Sa sur Amélie épouse en 1829 l'empereur du
Brésil, dom Pédro Ier d'Alcantara. Son
frère Auguste qui, entre parenthèses, est candidat
en 1831 au trône de Belgique, épousera en 1835 la
reine du Portugal, dona Maria da Gloria, fruit du
premier mariage de dom Pédro Ier avec
l'archiduchesse Léopoldine d'Autriche, la sur
de l'impératrice Marie-Louise (deuxième épouse de
Napoléon Ier). Après son décès en
1852, en vertu d'un décret de Nicolas Ier,
sa descendance masculine sera dotée des droits des
princes et des princesses de sang avec le titre des
princes Romanovski et le prédicat dAltesse
Impériale. Une de ses dernières descendantes, la
princesse Alexandra de Beauharnais, mourra à Nice en
1969.
Compte tenu de sa position et de ses fonctions, Maximilien
a certainement joué un rôle non négligeable dans la
création du Nouvel Ermitage. L'histoire de l'Ermitage,
aujourd'hui l'un des plus vastes musées du monde, remonte à
Catherine II, qui s'offrit en 1764 pour sa nouvelle
résidence le Palais d'hiver une importante
collection de tableaux hollandais et flamands. D'autres
acquisitions suivirent, tant et si bien que la nécessité
d'agrandir le palais ne tarda pas à se faire sentir. Le Petit
Ermitage fut achevé en 1769, et le Grand appelé plus
tard le Vieil Ermitage, en 1787. L'immense
collection de la tsarine devient officiellement musée sous les
règnes de son fils Paul Ier et de son petit-fils
Alexandre Ier. Ce dernier y dépose, entre autres
uvres, une trentaine de toiles et plusieurs statues
provenant de Malmaison. Lors de l'incendie qui dévasta le
palais en 1837, la majeure partie des collections a pu
être sauvée. C'est alors que Nicolas Ier,
ayant succédé en 1825 à son frère Alexandre, entreprit la
construction d'un nouvel édifice destiné à devenir musée
public, fondamentalement indépendant de la résidence
impériale. Ce Nouvel Ermitage fut inauguré le 5 février
1852 par un banquet de six cents couverts donné au milieu
des collections. Maximilien de Beauharnais, duc de
Leuchtenberg, meurt le 20 octobre suivant, âgé de 35 ans.
Durant tout son règne Nicolas Ier
(1796-1855) s'est attaché à enrichir les
collections de l'Ermitage sur une grande échelle,
surtout
en matière de sculpture. Passionné de
sculpture moderne, il prend plaisir à visiter les
ateliers des sculpteurs russes et étrangers
travaillant à Saint-Pétersbourg. Dès 1827 il
commande à l'allemand Carl Wichmann deux statues de
la tsarine Alexandra Fedorovna pour le Palais
d'hiver. De nombreuses autres statues seront
commandées tout au long des années '30 et '40. Son
beau-fils Maximilien conclut à Florence en 1843 un
contrat avec Giovanni Dupré pour l'exécution d'un Caïn et d'un Abel.
En 1845, au cours d'un long voyage en Italie, il
commande lui-même une vingtaine d'uvres aux sculpteurs Klimchenko, Ramazanov, Emil Wolf, Pietro
Tenerani, Luigi Bienaimé et Lorenzo Bartolini, parmi bien
d'autres. En 1850 le musée accueille la collection
de la famille Laval, composée de 54 statues et de
330 vases. S'y ajoutent peu après une cinquantaine
d'autres statues antiques et modernes achetées aux
Demidoff, dont Les trois Heures dansantes de Carlo Finelli et le Ganymède à l'aigle
d'Adamo Tadolini. En 1852, Maximilien présente au
musée deux sarcophages colossaux et un portrait
sculpté de la famille Amenemkheb.
En peinture, Nicolas Ier
affectionnait surtout les scènes et les portraits
militaires. A propos d'un tableau d'Horace Vernet, La parade de la garde aux Tuileries,
commandé en 1838, il aurait déclaré: « Je
le garderai dans mon cabinet de travail afin d'avoir
toujours sous les yeux les gardes de l'Empereur, car ils
auraient pu nous battre.» Il faisait allusion ainsi au
moment décisif de la bataille de Borodino, où Napoléon
avait refusé de sacrifier la Vieille Garde.
Horace Vernet, La parade de la garde aux Tuileries |
En 1841 Nicolas Ier commandera son
propre portrait au même
artiste. Vernet se rendra alors à Saint-Pétersbourg où la
princesse Mathilde, en voyage de noces avec Anatole
Demidoff, sera ravie de le rencontrer au salon de la
tsarine.
* * *
Et Pradier dans tout cela, direz-vous? J'y arrive! On sait
que son groupe de Vénus et l'Amour, aussi intitulé
Vénus grondant l'Amour ou L'Amour
désarmé, se trouve à l'Ermitage. Cependant, on a
toujours ignoré par quelles voies et dans quelles circonstances
ce groupe est parvenu en Russie.
Le catalogue de l'exposition Statues de chair,
paru en 1985, résumait ainsi ce que nous savions sur les
pérégrinations de cette uvre:
Le modèle en plâtre du
Musée de Genève fut expédié par Louise Pradier [la femme
du sculpteur] de Paris à Rome où Pradier effectuait un
séjour
au cours de l'automne 1841 [et jusqu'en mars 1842]. A
cette date, il fut question que Pradier demandât à Aubin [un
de ses praticiens] et à Victor Vilain [son élève] d'ébaucher
une réplique en marbre. Ce projet n'ayant apparemment
pas eu de suite, Pradier demanda à sa femme d'adresser
le modèle au Musée de Genève; il y parvint en 1842.
L'histoire du marbre exposé au Salon est encore confuse.
Le 7 septembre 1836, le ministre de l'Intérieur en
décidait l'acquisition, au prix de 7 000 francs. Ce
projet fut certainement annulé car le groupe ne figure
ni dans les propositions d'acquisition à l'issue du
Salon de 1836 ni dans les inventaires des musées et des
résidences royales. Les biographes anciens sont vagues.
Pour certains, le duc d'Orléans l'aurait acheté; pour
d'autres, il serait demeuré la propriété de Pradier:
il ne figure néanmoins ni dans l'inventaire après
décès ni à la vente Pradier. A une date encore
inconnue, il aurait été vendu au Gouvernement français
qui désirait l'offrir à l'Empereur de Russie. Il se
trouve actuellement au Musée de
l'Ermitage 1.
A ces indications on peut ajouter qu'une réplique en bronze fondue par Quesnel a figuré à
l'Exposition universelle de Londres en 1851. Cette même
réplique, « de grandeur naturelle »,
s'est retrouvée à la vente Pradier en 1852, accompagnée
d'une esquisse (en terre?) et d'un petit modèle en plâtre.
Il faut préciser aussi qu'à la clôture du Salon de 1836,
Pradier ne semble pas avoir expressément refusé le prix offert par l'État. Le 11 septembre 1836, il écrivait
au ministre de l'Intérieur:
Veuillez
agréer tous mes remerciements de l'acquisition que je
viens d'apprendre que vous aviez [sic] faite de mon
groupe (Vénus et Amour). Mais permettez-moi de ne pas
vous laisser ignorer que la somme que vous avez eu la
bonté d'accorder pour cet ouvrage et que le peu de fonds
pour les arts ne vous a pas permis d'élever à plus de 7
mille francs, est au-dessous de celle que j'ai employée
pour l'exécution de ce groupe. Puis-je espérer, Monsieur le
Ministre, qu'en considération de ce désavantage vous
daignerez penser à moi lorsqu'il y aura des travaux de
sculpture à donner aux artistes. En attendant, je vous
prie, Monsieur, d'avoir l'extrême bonté de m'accorder
comme indemnité un petit bloc de marbre dont voici le
numéro: 305, qui est dans le chantier de votre
ministère. Étant depuis assez longtemps sans rien
faire, je l'emploierai à exécuter un petit ouvrage dont
j'ai fait le modèle 2.
Le bloc de marbre ayant été accordé, Pradier
n'acceptera pas pour autant de se séparer de son groupe. Le
pasteur genevois Gaberel affirmera, après une visite
à l'atelier du sculpteur en 1838: « Cet ouvrage est encore dans l'atelier de Pradier; le duc d'Orléans l'a acheté
pour ses appartements. » 3
Gaberel se trompe vraisemblablement en ce qui concerne la
vente du groupe au Dauphin, prenant pour argent comptant ce
qui n'était sans doute qu'un projet. L'uvre resta
bien entre les mains du sculpteur pendant quelque temps
encore. Arrivé à Rome en septembre 1841, Pradier
s'apprêtait même à en exécuter un deuxième
exemplaire en marbre. Mais il changea d'avis et manda alors
à sa femme de garder le modèle à Paris. N'ayant pas reçu de
réponse, il lui écrivit encore, le 19 décembre suivant:
Je t'ai écrit cent fois pour te dire de ne pas envoyer
la Vénus et tu ne m'en parles pas dans ta lettre. [...]
Si tu as vendu la Vénus je trouverai du marbre à Paris
pour la refaire. C'est bon marché, 10 mille francs, car
il y a 5 mille francs de marbre et praticiens. Mais c'est
égal: si tu en fais ton petit marché et que
malheureusement la Vénus soit en route sans pouvoir
l'arrêter, même à Marseille, je la ferai faire par
Victor Vilain [alors à la Villa Médicis], qui n'a pas
le sou et qui fume une masse de cigares par jour 4.
Tout cela est assez confus mais il faut comprendre, d'une
part, que Pradier ne veut plus recevoir le modèle en plâtre
à Rome et, d'autre part, que sa femme négocie à Paris la
vente du groupe en marbre. Et dans le cas où celui-ci aurait
déjà été vendu, il projette d'en faire une réplique,
soit à Paris si le modèle n'a pas encore été expédié,
soit à Rome si, malgré ses contrordres, le modèle devait
s'acheminer jusqu'à là. Une semaine plus tard, ayant appris
que le modèle était effectivement en route, il écrivit de
nouveau:
Je suis bien fâché que tu n'aies pas reçu ma lettre
qui disait de ne plus envoyer mon groupe de Vénus. Il
faudra payer le trajet de Marseille et l'envoyer à
Genève. Ou le donner à Marseille, mais je crains qu'il
n'y ait pas de musée. Il faudrait en tout cas l'adresser
au musée de Genève 5.
La caisse contenant le modèle semble bien avoir été
interceptée à Marseille et ensuite aiguillée sur Genève.
Le don du modèle à la Société des Arts de Genève sera
annoncé aux membres de la Société le 21 mai 1842. Réunis
de nouveau le 11 août suivant, ils apprendront que l'ouvrage
est arrivé de Marseille et qu'il est placé au Musée Rath 6. Deux ans plus tard une
notice biographique consacrée au sculpteur signale que le groupe en marbre « est demeuré la propriété de
l'artiste » et que « le musée Rath, à
Genève, en possède le modèle en plâtre » 7. C'est ce modèle qui est conservé qui était conservé au Musée d'Art et d'Histoire de Genève sous le
numéro d'inventaire 1842-2. Entreposé dans les sous-sols du Palais du désarmement après l'exposition Statues de
chair, il fut entièrement détruit dans l'incendie de cet
édifice en 1987.
Voilà donc l'essentiel de ce que nous savions sur
l'histoire du Vénus et l'Amour. En 1842 le modèle
en plâtre avait échoué à Genève. En 1844 le groupe en
marbre se trouvait encore dans l'atelier du sculpteur. Mais
pourquoi Pradier, au début de son séjour romain en 1841,
tenait-il si fort à refaire en marbre un ouvrage resté invendu depuis 1836? Aurait-t-il déniché tout d'un coup
deux intéressés? Ou s'il ne comptait d'abord que
sur un seul acquéreur le tsar de Russie, par exemple , était-il persuadé qu'après lui avoir cédé l'original, il
pouvait éventuellement placer un deuxième exemplaire
ailleurs? Mais au fait, n'avait-il pas déjà fait faire
des copies du groupe, comme l'affirme J. Gaberel
en 1838 8 ?
Si toutes ces questions sont restées sans
réponse, un coin de la voile a été soulevé en
1996 par Elena Karpova dans son surprenant article
sur le Christ en croix de Pradier 9.
Cette uvre, présumée détruite depuis longtemps,
a été miraculeusement retrouvée aux portes de la Sibérie, à Nijni Taguil (Nizhniy Tagil), dans le Musée régional de la métallurgie de l'Oural. Elle fut
commandée, on le sait, par le comte Anatole Demidoff
(devenu prince en 1840 et l'éphémère
conjoint de la princesse Mathilde, fille de Jérôme
Bonaparte, cousine d'Eugène de Beauharnais et nièce par sa mère, Catherine de Wurtemburg, du tsar Nicolas
Ier)
pour le monument funéraire de son frère aîné,
Paul Nicolaïevitch Demidoff (1798-1840), au
cimetière du monastère Alexandre Nevski à
Saint-Pétersbourg. Pradier acheva le modèle à Rome
en décembre 1841 et dévoila le marbre dans son
atelier de l'Institut en juillet 1844. La presse
parisienne cria au scandale, croyant reconnaître
dans le visage du Christ le propre masque du
sculpteur. Mais l'uvre fut vite expédiée en
Russie et on n'en parla plus.
Tout en éclairant d'une manière spectaculaire
l'histoire du Christ en croix, l'article de Mme Karpova nous apporte en prime plusieurs révélations importantes sur le groupe de Vénus et l'Amour.
Rappelant qu'Anatole Demidoff avait acquis dès 1834 le
Satyre et Bacchante de Pradier, l'auteur précise:
Plus tard, en 1842, lors d'un
séjour à Saint-Pétersbourg, Anatole Demidoff s'était
fait l'interprête auprès du Tsar du désir de Pradier
de lui apporter son groupe en marbre de Vénus et
l'Amour. Dans une lettre adressée à P. M.
Volkonski, ministre de la cour impériale, Demidoff
décrivait Pradier comme « le premier statuaire de
la France, membre de l'Institut et officier de la Légion
d'honneur ». Il rappelait également que Pradier
était occupé à exécuter le monument funéraire de son
frère aîné pour le monastère Alexandre Nevski. 10.
Or, après leur mariage à Rome en
novembre 1840 et un premier voyage
en Russie, Demidoff et
la princesse Mathilde
ont habité Paris jusqu'en juin 1842. Ils ont ensuite
regagné Saint-Pétersbourg où ils ont séjourné
une année avant de s'installer dans le somptueux palais du prince à San Donato, non loin de Florence. Pradier,
revenu en avril 1842 de son long séjour à Rome, a donc
pu rencontrer Demidoff à Paris et le charger d'une mission auprès du tsar
avant le deuxième voyage du couple en Russie. Il avait
besoin en tout cas de mettre Demidoff au courant du Christ en croix, dont on dégrossissait le
marbre à Seravezza et qu'il projetait d'exécuter en
deux exemplaires, l'un pour
Saint-Pétersbourg et l'autre, disait-il, « pour
la France » 11.
Cependant, notre sculpteur n'aurait pas pu
choisir plus mauvais ambassadeur pour vendre son groupe à
l'empereur russe. Si Nicolas Ier avait accueilli Mathilde à bras ouverts en 1841, il n'avait
montré en revanche que mépris et aversion pour le nouveau conjoint de la princesse. « Demidoff est un pleutre », confiait-il à celle-ci. Et il lui prédisait avec justesse: « Vous ne serez pas heureuse avec lui ! » 12. A leur retour
à Saint-Pétersbourg en 1842, ce fut pire: « Le
prince de San Donato se retirait pendant les visites du tsar
dont il souffrait mal le dédain. Tous ses efforts étaient
demeurés vains et l'antipathie du souverain s'était
aggravée à ce point qu'il feignait, lorsqu'il visitait sa
nièce, d'ignorer Demidoff. » 13
Dans une note de son article, Mme Karpova affirme que Nicolas Ier refusa le groupe en 1842. Elle ajoute
cependant que Pradier l'ayant envoyé à Saint-Pétersbourg
en 1849, le tsar le fit placer au musée impérial et ordonna
de verser au sculpteur 2 000 roubles argent. Voilà donc
l'uvre vendue, mais à un prix que Pradier jugea encore
inacceptable. La même note précise:
Dans une lettre au
vice-président de l'Académie des Beaux-Arts, F. P.
Tolstoï, il fait remarquer que cette somme est à peine
suffisante pour couvrir les dépenses pour son exécution
qui avait nécessité deux années. A la fin de sa lettre
le sculpteur ajoute qu'il est en train d'exécuter pour
Demidoff une composition en marbre de la même taille
pour un prix de 25 000 francs 14.
Mme Karpova a eu l'extrême obligeance de me faire parvenir une photocopie de la lettre du sculpteur. En attendant de pouvoir l'intégrer à la Correspondance, je m'empresse de la transcrire ici car elle apporte sur l'histoire du groupe de Pradier des renseignements essentiels. Datée du 23 novembre 1849, elle
est adressée au comte Fédor Pétrovich Tolstoï (1783-1873), sculpteur célèbre à l'époque et vice-président de l'Académie impériale des Beaux-Arts à Saint-Pétersbourg.
A Monsieur le Vice-Président de l'Académie Impériale des Beaux-Arts
Monsieur,
Étant convaincu que Sa
Majesté l'Empereur savait estimer plus noblement
l'uvre d'un grand artiste, d'après les
égards bienveillants qu'il a montrés pour mon
collègue Horace Vernet, j'ai pris la liberté
d'adresser à son Altesse Impériale Monseigneur
le Duc de Leuchtemberg [sic] mon groupe en marbre
de Vénus et l'Amour. La somme de
2 000 roubles argent que l'Empereur
m'assigne pour cet ouvrage suffit à peine à
couvrir les dépenses d'achat de marbre et
d'exécution dont la durée a été de 2 ans.
En m'exprimant, Monsieur
le Comte, d'une manière désintéresée dans ma
lettre adressée à Monseigneur, j'ai eu
peut-être trop haute idée de l'impression que
devait produire mon uvre d'après le
succès qu'elle a obtenu à Paris. J'en espérais
en conséquence plus de satisfaction encore en
Russie, les noms des artistes distingués devant
y être connus.
Je crains et je regrette, Monsieur, qu'on ait mal
interprété ma demande et mon envoi; des
procédés moins ordinaires et plus convenables
m'eussent fait accepter cette modeste somme que
je tiens à votre disposition si mon uvre
n'est pas jugée digne d'une plus haute
appréciation. Je vois que j'aurais dû
m'expliquer et vous dire que je n'exécute jamais
d'ouvrage de cette importance à moins de 20 à
25 mille francs, mais dans cette circonstance mes
prétentions étaient moins élevées, certain
qu'on ne prendrait pas à la lettre cette phrase:
« Quelle que soit la somme qu'on m'offre,
elle sera toujours reçue avec reconnaissance. »
J'ai l'honneur d'être,
Monsieur le Comte, votre très humble serviteur
J. PRADIER
M[em]bre de l'Institut de France, etc.,etc.
Officier de la Légion d'honneur
Commandeur de l'ordre de la Couronne de chêne, etc., etc.
N.B. Je vais faire en marbre pour M r
le Comte de Demidoff à Florence un groupe dans ces mêmes dimensions pour la somme de 25 mille francs.
quai Voltaire, Hôtel Vigier, le 23 N[ovem]bre 1849 15.
Comme toutes les fois qu'il négocie la vente de
ses travaux, Pradier s'avère ici passé
maître dans
l'art de manier la plume. Sans refuser ouvertement la
« modeste somme » octroyée par l'empereur russe apparemment déjà
payée , il la tient néanmoins à la
« disposition »
de son interlocuteur au cas où son uvre
« n'est pas jugée digne d'une plus haute appréciation ».
Autrement dit et en termes plus concrets, il est
prêt à reprendre possession de son groupe et à
remettre l'argent à qui de droit si on ne lui fait
pas un meilleur prix! A-t-il fini par obtenir gain de
cause? Le fait que l'uvre est restée à
l'Ermitage en est peut-être la preuve. Toutefois,
s'il est difficile de traduire la valeur de 2 000 roubles en francs français de l'époque, il n'en
est pas moins évident qu'il exagère quelque peu en
affirmant qu'il « n'exécute jamais
d'ouvrage de cette importance à moins de 20 à 25 mille francs ». Ne venait-il pas
d'accepter une rémunération de 14 000 francs
seulement pour sa statue en marbre du
Printemps?
Et l'année d'avant ne s'était-il pas contenté
d'une maigre offrande de 10 000 francs pour sa
statue en marbre de Nyssia?
S'il gonfle aussi, sans doute, le prix du groupe destiné à
Demidoff, il est vrai que Demidoff projetait de lui
commander une nouvelle uvre. Un mois auparavant, le 8 octobre 1849, Pradier avait fait part de ce projet à Poggi:
Je vais vous apprendre [...]
une assez bonne nouvelle. C'est que M. le prince de
Demidoff désire avoir un pendant à son Satyre [et
Bacchante], qui a un énorme succès à Florence; il
demande le prix et une esquisse. C'est difficile pour le
prix, je crains l'effrayer. Et cependant, je ne peux pas
lui faire un pendant pour le prix que je lui ai fait pour
le Satyre car je le lui ai presque donné. Enfin, nous
verrons cosa fare. Nous pourrions bien l'aller
faire à Rome, celui-là. Je pense que la Bacchante et le
jeune Bacchus feraient assez l'affaire 16.
Pradier fait probablement allusion ici à son groupe du Premier pas de Bacchus dont seuls sont connus des exemplaires de petit ou de moyen format. Il est à peu près certain, en tout cas, que ce projet n'a pas abouti et qu'il
n'a pas exécuté une autre uvre pour Demidoff.
Mais d'autres interrogations surgissent à propos de sa
lettre au comte Tolstoï. Est-il réellement possible qu'il
ait pris l'initiative d'envoyer son groupe de Vénus et
l'Amour à Saint-Pétersbourg sans aucune garantie
préalable et sans nullement avoir « préparé le
terrain » ? Faut-il vraiment croire qu'après l'échec
de sa première tentative en 1842 (appuyée par l'envoi d'un
simple dessin), ce fut uniquement sur la foi des « égards bienveillants » montrés par Nicolas Ier pour Horace Vernet allusion
sans doute à La parade des gardes français ou
au portrait du tsar commandés à Vernet qu'il s'est décidé à prendre un tel risque? La perspective d'un nouveau
musée où la sculpture
moderne devait avoir une place prépondérante a peut-être
aussi motivé ses démarches. D'autres lettres inédites
enfouies dans les archives russes permettront sans doute
de formuler quelques réponses à ces questions et de mieux
connaître les relations de Pradier avec la cour
impériale.
James Pradeir, Vénus et l'Amour, 1836. Marbre, H. 98 cm. St-Pétersbourg, Musée de l'Ermitage.
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James Pradeir, Vénus et l'Amour (détail), 1836. Marbre, H. 98 cm. St-Pétersbourg, Musée de l'Ermitage. |
* * *
A l'occasion du 150e anniversaire du Nouvel
Ermitage, deux expositions évoquant la création du musée et ses premières collections ont été organisées, la première
en 1998 au Palazzo Ducale de Massa en Italie (Omaggio al Nuovo Ermitage), la seconde en 2002 à l'Ermitage même (Nicolas I er et le Nouvel Ermitage). Le groupe de Pradier a figuré
aux deux expositions et a fait l'objet d'une notice identique dans les deux catalogues. Ceux-ci étant difficilement
trouvables aujourd'hui, voici une traduction de la notice
italienne:
PRADIER JEAN JACQUES
dit James Pradier
1790, Genève 1852,
Bougieville [sic]
II.6 Vénus et l'Amour (Vénus consolant l'Amour)
1836
Groupe. Marbre. H. 98. N° inv. N sc. 200
Sur la partie antérieure de la base, signé et
daté:
J. PRADIER 1836
Acquisition: 1849 de l'auteur
Le groupe en mabre fut exposé sous le titre
"L'Amour désarmé" au Salon de Paris
en 1836. Comme il n'existe pas d'autre original
en marbre, on peut supposer qu'il s'agit du
groupe qui appartient à l'Ermitage. Le modèle
en plâtre du groupe, qui se trouve au Musée
d'Art et d'Histoire de Genève, fut envoyé au
musée par l'épouse du sculpteur, Louise
Pradier, à la demande du sculpteur lui-même.
Le destin de l'original en marbre conservé à
l'Ermitage, après son exposition au Salon de
Paris en 1836 et jusqu'à son apparition à
l'Ermitage en 1849, n'est pas du tout clair. Le
Ministère des Affaires étrangères de France
aurait eu l'intention de l'acheter, mais
l'affaire n'aboutit pas. Selon certaines
informations, le groupe fut acquis par le duc
d'Orléans ; selon d'autres, il est resté
la propriété de Pradier lui-même. Il existe
aussi l'hypothèse selon laquelle le groupe fut
vendu au gouvernement français, lequel avait
l'intention de l'offrir à l'empereur russe.
Probablement Pradier se lassa d'attendre et
décida de s'occuper lui-même du destin de son
uvre. Dès 1842 le sculpteur exprima le
désir d'offrir son groupe figurant "Vénus
et l'Amour" à Nicolas Ier. Un
dessin du groupe fut envoyé au ministre de la
Cour impériale, mais "l'auguste
consentement" ne vint pas. En 1849 Pradier
répéta sa tentative, envoyant au Président de
l'Académie des Beaux-Arts de Pétersbourg, le
duc Maximilien de Leichtenberg [sic],
une lettre dans laquelle il le priait de
présenter son groupe à l'empereur; le
sculpteur laissait le prix à la discrétion de Nicolas Ier, affirmant
qu'il "serait satisfait du prix que Son Altesse
voudrait bien fixer". D'après les documents
il résulte que vers le début de septembre 1849
le groupe se trouva sans doute désormais à
Saint-Pétersbourg, dans une des salles de
l'Académie des Beaux-Arts. Transporté au Palais
d'hiver, il fut exposé dans la salle à manger,
où l'empereur l'examina le 23 septembre et
ordonna de payer à l'artiste la somme de 2.000
roubles argent. Mais le sculpteur trouva cette
somme insuffisante puisque le 22 [sic]
novembre 1849 il écrivit au vice-président de
l'Académie des Beaux-Arts de Pétersbourg, comte
Fédor Tolstoï, faisant remarquer que pour une
statue de cette dimension, exécutée pour
Demidov, il avait touché la somme de 25.000
francs. Mais à la fin Pradier a dû se contenter
de la somme proposée.
"Par volonté suprême", le groupe fut
placé au Nouvel Ermitage. Là il est visible sur
l'aquarelle de L. Premazzi figurant la première
salle de la sculpture moderne au rez-de-chaussée
du musée.
Le thème de "Vénus et l'Amour", très
populaire dans l'art antique, était un thème
particulièrement aimé des sculpteurs des XVIIIe et XIXe siècles. Il est donc évident qu'il existe un lien de composition entre
l'uvre de Pradier et la fameuse statue
antique de "Vénus accroupie", qui
inspirera encore plus d'un artiste jusqu'à
Matisse. Pradier connaissait certainement encore
une autre variante antique de la Vénus, debout
aux côtés de l'Amour, mais il l'a retravaillé
à sa manière, rapprochant la figure et la
rattachant au thème de "Vénus consolant
l'Amour pleurant qui s'est piqué un doigt avec
sa propre flèche".
_________
Fond d'archives:
AISR [Archives historiques de l'État russe],
fond 472, inv. 17 (3/935), dossier 427, p..
1-2 ; inv. 17(7/939), dossier 96,
p. 1-3, 11.
Bibliographie:
Gille, Musée de l'Ermitage impérial.
Notice sur la formation de ce musée et
description des diverses collections qu'il
renferme avec une introduction historique sur
l'Ermitage de Catherine II. Saint-Pétersbourg,
1860, p. 338, n. 10.
Gille, Musée de l'Ermitage impérial.
Description des uvres appartenant au
musée, avec une introduction historique sur
l'Ermitage de l'Impératrice Catherine II et sur
la création du musée du Nouvel Ermitage [en
russe], Saint-Pétersbourg, 1861, p.
369.
Saretskaia, Kosareva, La sculpture
française du XVIIe au XXe siècle. [en
russe], Saint-Pétersbourg, 1963, ill. 92.
- Statues de chair, 1985, p. 130, 137
[387].
N[ina] K[osareva]
A la page 132 du catalogue de Saint-Pétersbourg, un texte
(en russe) intitulé « Voyage de Nicolas I er en Italie et acquisition de la
sculpture pour le nouvel Ermitage » reprend
en partie les données de cette notice en les complétant par
les détails suivants:
-
-
Dans sa lettre au duc de Leuchtenberg,
Pradier écrivait que cela lui ferait plaisir si le
groupe pouvait être placé dans une galerie ou dans
un palais.
-
Le groupe fut placé d'abord dans la Première
salle de la sculpture moderne au Nouvel
Ermitage, où l'on peut le voir sur l'aquarelle de
Luigi Premazzi qui avait peint cette salle en 1856.
-
En 1872 le groupe fut transporté au Palais d'hiver,
où il figure alors sur l'aquarelle d'Edward Hau
représentant la Deuxième salle
des tableaux militaires.
|
L'aquarelle de Luigi Premazzi fait partie d'un ensemble de
55 aquarelles exécutées entre 1852 et 1861 sur l'ordre de
Nicolas Ier par Premazzi, Konstantin Uchtomskij
et Edward Hau. Cet ensemble permet de visualiser le musée
tel qu'il se présentait à l'époque, avec ses collections et
son mobilier. Sur l'aquarelle de Premazzi ci-dessous, le
groupe de Pradier se voit tout au fond de la salle, à
droite, devant l'avant-dernier pilier.
Luigi Premazzi, Première salle de la sculpture moderne au Nouvel Ermitage, 1856. |
Parmi les autres sculptures de la salle on distingue, au
centre, une Bacchante couchée de Luigi Bienaimé
et, plus loin, une Diane au repos d'Emil Wolf. Sur
la gauche, vus de dos, la Nymphe au scorpion de Lorenzo Bartolini et l'Amour et Psyché (debout) de Canova. Sur la droite, une Bacchante dansante et une Diane de Luigi Bienaimé, suivies d'un
Pâris de Canova. Au milieu et au fond de
la salle figurent les statues de Caïn et d'Abel par Giovanni Dupré, l'Amour et
Psyché de Cincinnato Barozzi, le buste du Génie
de la mort de Canova et le Ganymède à l'aigle
d'Adamo Tadolini.
Si le groupe de Pradier est peu visible sur l'aquarelle de
Premazzi, il figure au premier plan (à gauche) sur un
dessin de Joseph Charlemagne et de Vassilij Sadovnikov,
la salle étant présentée dans le sens inverse.
Joseph Charlemagne et Vasilij Sadovnikov,
Première salle de la sculpture moderne au Nouvel Ermitage. |
Cette vue extérieure du Nouvel Ermitage,
également due à Premazzi, fut ajoutée à l'ensemble
des aquarelles en 1861:
Luigi Premazzi, Le Nouvel Ermitage vu de la rue Millionnaya, 1861. |
Le site officiel du musée de l'Ermitage
offre la possibilité de comparer quelques-unes des aquarelles avec des photographies récentes
où l'on peut constater que le décor original des salles est
toujours intact. On peut aussi y effectuer une visite
virtuelle du musée qui permet de découvrir, au premier
étage du palais, l'ancien grand salon du duc de Leuchtenberg
et de son épouse Maria Nikolaïevna, actuellement affecté
aux arts appliqués français du deuxième XVIIIe siècle.
* * *
C'est en septembre 1849, on l'a vu, que Pradier fit
présenter son groupe de Vénus et l'Amour au tsar
par l'entremise du duc de Leuchtenberg. Cette même année il
exposait au Salon sa statue en marbre du Printemps, alias Flore, alias Chloris carressée par Zéphyr (voir Un été, deux printemps). Ne serait-ce pas pour remercier le duc
de ses bonnes offices qu'il lui envoya une petite réduction
en marbre de cette statue? John Pradier raconte l'histoire
dans ses Cahiers des enfants:
Poggi [l'ancien praticien du sculpteur] me parle d'une
toute petite copie de Flore,
copie que Papa avait faite avec amour... c'était plutôt
une réduction. On l'avait d'abord mise en loterie à
l'atelier, mais mon père un beau matin, changea d'avis
et l'envoya au duc de Leuchtenberg qui lui écrivit une
lettre charmante, mais sans lui envoyer quoi que ce soit
d'autre, à moins que ce ne soit la bague royale marquée
« L » que j'ai sur émail bleu
Mme Poggi le pensait mais Poggi soutenait
que cette bague a été offerte par le roi des Belges
17.
Sous une autre date, John assimile cette
réduction à la statue de Pandore, dont Pradier
avait exposé un exemplaire en bronze, grandeur demi-nature,
au Salon de 1850:
Poggi viendra demain matin chez M. Michel, commissaire de police, 1 rue de Hanovre, pour faire une déposition
comme quoi mon père, à sa connaissance, n'a jamais fait
de petites réductions en marbre de ses nombreuses
statues, sauf deux ou trois de la Femme au bas
(pour Susse) et une 3e de la
Pandore dont il fit cadeau au duc de
Leuchtenberg 18.
Des réductions en marbre de la Pandore aussi bien que de la Flore sont connues ou attestées.
Que ce fût une réduction de l'une ou l'autre que Pradier offrît
au petit-fils de Joséphine, il est bien possible que ce cadeau
ne fût pas étranger à la vente de son groupe de Vénus
et l'Amour
au tsar. Par ailleurs, ce fut peut-être à la
« Loterie des Artistes », dont le tirage eut lieu
en décembre 1849, et non à une loterie d'atelier, qu'il
avait d'abord destiné cette petite uvre (sa Sapho
debout en argent massif fit partie des lots). Quant à
la bague royale ornée d'un « L », Pradier signale
lui-même, en 1845, parmi les objets emportés par sa femme
(dont il venait de se séparer) « un gros anneau
avec diamants donné par la Reine de
Belges » 19. Ce fut vraisemblablement cette même bague, « aux
armes de Léopold Ier de Belgique », qu'un cambrioleur déroba en 1938
chez les descendants du
sculpteur 20.
* * *
Nous connaissons mieux à présent l'histoire des deux
sculptures en marbre que Pradier envoya en Russie.
Reste une troisième uvre sur laquelle on est encore mal
renseigné. Il s'agit d'un bas-relief en bronze qui représentait
un Ange remontant au ciel, commandé par un certain M. Laïsky pour le tombeau de sa fille à Saint-Pétersbourg. Ch.-B. Metman date cet ouvrage de 1851
et en attribue la fonte à Eugène Gonon 21. Achevé mais non payé à
la mort du sculpteur, il se trouva en 1854 entre les mains
d'Eugène Lequesne, que Pradier avait nommé par testament
tuteur de ses enfants. A cette date le commanditaire
devait 1 000 francs
« pour le travail » et 400 francs pour
la fonte 22.
Lequesne préleva les 400 francs sur l'actif de la succession et
les versa à Gonon. On ignore ce que l'ouvrage est devenu par
la suite. A-t-il fini par prendre le chemin de la Russie, à l'instar
du Christ en croix et de la Vénus et l'Amour? J'espère pouvoir répondre un jour à cette question dans un deuxième volet du présent article.
Remerciements
à Mme Elena Karpova, conservateur-en-chef
des sculptures au Musée national russe de Saint-Pétersbourg;
à Mme Ludmila Bortsova, interprête et professeur de
littérature russe à Bruxelles;
au docteur Marc Goltzberg:
à Georgia.
Notes
1
Jacques de Caso, « Vénus
et l'Amour », dans Statues de chair. Sculptures de
James Pradier (1790-1852), Genève, Musée d'Art et
d'Histoire, 1985, p. 130.
2 James Pradier. Correspondance, textes réunis, classés et annotés par
Douglas Siler, Librairie Droz, Genève, 1984-, t. II, lettre 291.
3
J. Gaberel, « Notice sur les ouvrages de
James Pradier, de Genève », dans Bibliothèque
universelle de Genève, nouvelle série, t. XV, juin
1838, p. 284.
4
James Pradier. Correspondance, t. II, lettre 405.
5
James Pradier. Correspondance, t. II, lettre 406.
6
Archives de la
Société des Arts de Genève, Séances de la Classe des
Beaux-Arts, reg. n° 3, 1842-1852, p. 9-10;
Bibliothèque publique et universitaire de Genève, fond
Baud-Bovy 202, f° 244.
7
Durieux frères, « Jean-Jacques Pradier », dans Gazette universelle des Beaux-Arts, n° 87, 1er décembre
1844, p. 36.
8
« Les copies de ce groupe n'ont pas réussi, parce que l'artiste qui en était chargé n'a pa su trouver, comme le maître, le point d'union qui existe entre deux élémens aussi divers que les reproches tendres d'une mère et la résistance opiniâtre d'un enfant » (J. Gaberel, art. cit., p. 284).
9
Elena Karpova, « Le Christ en croix: une uvre "perdue" de Pradier (1790-1852) », dans Gazette des Beaux-Arts, octobre 1996, p. 173-178.
10
Ibid., p. 174.
11
James Pradier. Correspondance, t. II, lettre 411.
12
Margurite Castillon du Perron, La Princesse
Mathilde: un règne féminin sous le second empire,
Paris, Amiot-Dumont, 1953, p. 76 (d'après les mémoires
inédits de la princesse Mathilde)
13
Ibid., p. 83.
14
Elena Karpova, art. cit., p. 177, n. 5
15
Archives historiques de l'État russe, fond 472,
inv. 17 (7/939), dossier 96, p. 11. Précisons que Pradier a
bien daté sa lettre du 23 novembre 1849. C'est donc par erreur que la date du 22 novembre 1849 a été ajoutée en haut de la page, en russe. Un autre ajout en
russe sous la salutation initiale « Monsieur »
et dans la marge gauche est difficilement lisible. On y
devine les mots « pourquoi ... s'il n'y avait pas
de réponse du duc de Leuch... », suivis de la
date du 25 novembre 1849.
16
Bibliothèque municipale de Nîmes, Ms. 648.II.7. Cf. Journal de Genève, 25 septembre 1849, p. 2: « Notre illustre compatriote, M. Pradier, vient d'obtenir de nouveaux témoignages fort honorables de l'admiration qu'excite son beau talent. Le succès de son groupe en marbre un Satyre et une Bacchante, appartenant à M. de Demidoff, a engagé cet ami des arts à lui commander le pendant pour son palais de Florence. »
17
Cahiers des enfants , 8 octobre 1878, arch. famille Pradier
18
Ibid., 12 juin 1876
19
James Pradier. Correspondance, t. III, lettre 509
20
« Une bague aux armes de Léopold I er
de Belgique composée d'un saphir plat filé, couronne royale
fermée, initiale gothique, couronne et initial en argent et
brillants, monture ciselée, feuille d'acanthe en or. »
Rapport de police, arch. famille Pradier
21
Charles-Bernard Metman, « La petite sculpture au XIXe siècle: les éditeurs », manuscrit dactylographié publié par Jacques de Caso dans Archives de l'Art français, nouvelle période, t. XXX, p. 175-218. Voir l'article « GONON
Eugène», p. 197
22
État liquidatif de la succession de M. Pradier, Archives Nationales, Minutier Central, étude Guénin, XI-2012, mai-juin 1854.
Annexe
Les Demidoff et la pierre malachite
Concernant le rôle des Demidoff dans les arts, il
est intéressant de constater que leurs mines de
l'Oural ont fourni une partie importante de la pierre
malachite utilisée pour les grands décors
intérieurs russes ainsi que pour certains objets,
telle cette écritoire
présentée à l'exposition
Paris St-Pétersbourg 1800-1830. Quand la Russie parlait français:
Écritoire. Saint-Pétersbourg, Russie, 1820-1830. Malachite, mosaïque, bronze doré, cristal, 24,2×30,3×18,7 cm. Musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg.
« La malachite
est extraite dans les monts Oural, en Russie,
depuis le début du VIIIe
siècle. Un filon important de deux cent cinquante
tonnes fut découvert en 1835 dans la mine
Mednoroudiansky ("minerai de cuivre") appartenant à
P. N. Demidov, non loin de Nijni-Taguil. Cela permit de
produire de gros objets en grande quantité et de
décorer les intérieurs des immeubles
(notamment, la salle de Malachite de la maison de
P. N. Demidov, rue Bolchaïa Morskaïa, la
salle de Malachite du palais d'Hiver, la
cathédrale Saint-Isaac à Saint-Pétersbourg, le
Grand Palais du Kremlin, à Moscou, etc.).
La première moitié du XIXe siècle
fut baptisée "l'époque de
malachite" de la taillerie russe. Pour
fabriquer les articles en malachite, on recourait
à la technique dite mosaïque russe: le tailleur
débite la pierre en petites plaques de deux à
quatre millimètres d'épaisseur, les
sélectionne méticuleusement d'après le dessin,
les égrise, les polit et les colle une à une
sur la base métallique ou de pierre du futur
objet, tout en masquant savamment les joints
entre les plaques avec des grains de malachite.
Les articles en malachite sont souvent dotés de
détails en bronze doré, ce qui leur confère
une apparence particulièrement
somptueuse. L. T. »
On songe au portrait en malachite
du baron de Feuchères commandé à Pradier par
Froment-Meurice pour le Vase du baron de
Feuchères (voir notre étude en ligne
Un été, deux printemps).
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