Voici un peu plus d'un an, en novembre 2003, deux groupes
chryséléphantins de l'orfèvre
F.-D. Froment-Meurice apparaissaient sur la marché de l'art
italien après avoir été perdus de vue pendant près d'un
siècle (Brève du 27/2/2004). Il s'agissait d'une part d'une Toilette
de Vénus exécutée « sur les dessins de Jean-Jacques Feuchère et Froment-Meurice.
Ivoire sculpté par Jean-François Soitoux », et,
d'autre part, d'une Bacchante exécutée « sur
les dessins de Jean-Jacques Pradier et Froment-Meurice.
Sculpté[e] par Jean-Jacques Pradier ». Signés et
datés « Froment-Meurice 1851 », tous deux avaient appartenu à Anatole Demidoff.
F.-D. Froment-Meurice, J.-J. Feuchère et J.-F. Soitoux,
La toilette de Vénus.
Groupe chryséléphantin, H. 100 x L. 39,5 cm.
Vente coll. Giacomo Bizzini, Bologna, 15 nov. 2003.
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F.-D. Froment-Meurice et James Pradier,
La Bacchante.
Groupe chryséléphantin, H. 100 x L. 39,5 cm.
Vente coll. Giacomo Bizzini, Bologna, 15 nov. 2003.
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A ce dossier je voudrais verser trois pièces
complémentaires concernant Feuchère qui avaient échappé
à mon attention au moment de signaler cette vente.
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Premièrement, si l'on n'avait guère entendu parler des deux
groupes depuis leur publication par Henri Bouilhet (L'Orfèvrerie française aux XVIIIe et XIXe
siècles, Paris, H. Laurens, 1908-1912, 3 vols),
il convient de préciser que la Toilette de Vénus avait néanmoins fait une apparition à l'exposition Le
décor de la vie sous le Second Empire tenue en
1922 au Pavillon Marsan à Paris où elle figurait aux côtés de
la Léda et le cygne de Pradier, autre uvre
chryséléphantine exécutée en collaboration avec
Froment-Meurice. Les deux uvres exposées étaient
alors propriété du comte Frédéric Pillet-Will 1
.
On sait que la Léda fit
partie de la Loterie des Artistes en 1851 et qu'elle fut
envoyée la même année à l'Exposition universelle de
Londres.
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Deuxièmement, signalons que la contribution de
Jean-François Soitoux (Besançon, 1816 Paris,
1892) à l'exécution de la Toilette de Vénus n'est
pas pour surprendre car Soitoux était l'élève de
Feuchère. Peu connu aujourd'hui, il doit sa gloire
principalement au fait d'avoir remporté contre
Feuchère et Pradier, entre autres le concours ouvert
en 1848 par le Gouvernement Provoisoire pour une statue
symbolique de la République 2.
Cette uvre occupa divers emplacements au cours des XIXe et XXe siècles avant d'être érigée en 1992 sur le quai
Malaquais à l'occasion du bicentenaire de la première République.
Soitoux a beaucoup travaillé pour la décoration extérieure
du Louvre de Napoléon III. Il fut l'un des maîtres de Bartholdi, qui
exécuta son tombeau au cimetière Montparnasse.
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Une troisième pièce à verser au dossier
Feuchère/Froment-Meurice vient du Magasin Pittoresque. On trouve illustré et décrit dans le numéro de mars 1851 3 un autre groupe important dû à la
colloaboration des deux artistes, lequel, à ma connaissance,
n'est pas localisé et n'a pas fait partie de l'exposition
Froment-Meurice présentée au musée de la Vie
romantique en 2003. Voici la gravure (malheureusement peu
nette) reproduite dans le Magasin Pittoresque, ainsi
que la légende et la description qui l'accompagnent:
« Salon de 1850-1851.
Groupe en ciselure repoussée. Modèles par M.
J.-J. Feuchère; ciselure de M. Muleret, Alexandre
Dauvergne, Fannière et Poux, sous la direction
de M. Froment-Meurice.
Le globe terrestre, entouré obliquement par le bandeau doré du zodiaque, est surmonté de trois figurines
qui représentent Cérès, Bacchus et Vénus. Cérès
porte une gerbe sur son épaule et tient des pavots
dans sa main droite; Bacchus porte un thyrse de la
main droite, une coupe de la gauche; Vénus soutient
l'Amour sur son épaule gauche, et sa main droite
joue avec la pomme que lui a donnée le berger
Pâris. Autour du globe volent quatre petits génies:
l'un porte une lyre, un autre deux torches, un
trosième une corne d'abondance, le quatrième un arc
et dez flèches. Cette figure de la Terre est
supportée par quatre Titans (deux torses de femmes
et deux torses d'hommes, que terminent des corps de
reptiles). Ces Titans, qui s'appuient eux-mêmes sur
des rochers entassés et représentant le chaos,
paraissent personnifier les Vices et le Désordre qui
tourmentent le monde; les attributs des quatre petits
génies semblent faire allusion aux bienfaits de la
Paix et aux maux de la Guerre; les trois figures
supérieures symbolisent, suivant les mythes païens,
les principes supérieurs et actifs de la nature, ou,
si l'on veut, le Beau et l'Utile. La hauteur de cette
pièce d'orfévrerie est d'environ 81 centimètres.
Elle appartient à M. Albert de Luynes. »
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L'appartenance de ce groupe aux collections du grand archéologue et amateur d'art Albert de Luynes n'est pas un hasard. C'est de Luynes qui aurait suggéré à Froment-Meurice la création de la Léda chryséléphantine et qui commanda en 1846 à Charles Simart, l'élève de Pradier, la colossale Minerve chryséléphantine qui fit sensation lors de l'Exposition universelle de 1855.
Ajoutons que Simart a aussi collaboré avec Froment-Meurice
au Berceau du prince impériale offert par la Ville
de Paris en 1856 à Napoléon III et à Eugénie.
La fin de l'article du Magasin Pittoresque donne
d'intéressants détails sur l'exécution du groupe en se
référant au rapport du jury de l'exposition de 1849 où il
avait déjà figuré:
D'habiles ciseleurs, MM. Muleret, Fannières, Daubergne
et Poux, ont contribué à son exécution dans les
ateliers de M. Froment-Meurice. Les figurines sont
remarquables par leur élégance, leur souplesse, et par
cette sorte de force pleine de vie qui est une des
marques de l'art de la renaissance. La bordure de fruits
mêlés d'oiseaux qui court autour du socle est d'une
délicatesse de travail qui eût mérité les éloges des
contemporains de Benvenuto et de François Briot.
Cette uvre d'orfévrerie
n'est pas destinée à orner un salon ou une galerie:
c'est un « milieu de table. » Elle avait
déjà été exposée en 1849 parmi les produits de
l'agriculture et de l'industrie; la multitude des objets
qui l'entouraient avaient empêché qu'elle fût
remarquée alors comme elle l'a été au Salon du
Palais-National; mais le jury central en avait
parfaitement apprécié le mérite. Voici quelques lignes
empruntés à son rapport; elles donnent une idée de la
nature et de la difficulté du travail:
« C'est d'après les modèles de
M. Jean Feuchère, et sous sa direction, que l'exécution
a été faite en argent repoussé, à l'exclusion absolue
de la fonte et tout autre procédé ordinaire de
fabrication..... L'argent a été pétri comme de la cire
ou de la terre. L'art du ciseleur repousseur, destiné à
produire des uvres d'art qui doivent rester
uniques, n'a peut-être jamais brillé d'un plus vif
éclat; jamais figures en ronde bosse n'ont été
exécutées avec plus d'hardiesse et de pureté: il en
est, dans ce groupe, qui n'ont pas demandé moins de
quarante plaques, qu'il a fallu emboutir séparément,
restreindre, assembler et souder ensemble; telle main
(car tous les doigts, sans exception, sont creux) où il
a fallu dix ou douze pièces séparées. Dans un
travail aussi délicat, aussi minutieux, de la bonne
préparation par l'orfèvre dépend la bonne exécution
de la ciselure. »
Ces dernières précisions sont à rapprocher de celles
fournies par l'examen radioscopique du cygne en argent de la Léda de Pradier, effectué au Musée d'Art et
d'Histoire de Genève: « Il est fait de plaques d'argent ciselées, dont l'épaisseur varie entre 1 et 2 millimètres,
assemblées par soudure. Ces plaques ont été obtenues par
coulée de métal dans des moules ayant la forme requise
4
. »
Signalons enfin que le groupe de Feuchère et de Soitoux
occupa une place d'honneur au milieu du stand Froment-Meurice
à l'Exposition de 1849, comme en témoigne cette étonnante
image captée par le photographe Pierre-Ambroise Richebourg, (1830-1881), connu surtout par ses vues de l'intérieur du palais de l'Élysée réalisées vers 1864:
Notes
1
Marcel G. Roethlisberger, « Le thème de Léda en
sculpture », in Genava, t. XXXV, Nouvelle
Série, 1987, p. 82. Selon cet article, le catalogue de
1922 signalaient la présence des deux uvres à l'Exposition de 1855. Il faut probablemenet lire 1851, car Froment-Meurice ne semble pas avoir participé à l'Exposition de 1855.
2
Voir Marie-Claude Chaudonneret, La Figure de la
République. Le concours de 1848, Éditons de la Réunion
des musées nationaux, Paris, 1987.
3
Magasin Pittoresque, t. XIX, mars 1851, pp. 81-82.
4
Claude Lapaire, « Léda et le cygne de James
Pradier », in Genava, t. XXXV, Nouvelle
Série, 1987, p. 61.
A lire aussi :
→
Brève du 27/2/2004 :
Vente d'un somptueux groupe de Pradier signé Froment-Meurice
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