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Morgane Lecareux (régie des œuvres, château de Blois, 9/4/2013)
Le château de Blois possède ce buste en plâtre signé J. Pradier et daté de 1830. Il mesure 70 cm de haut:
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La signature et la date sont inscrites sur la tranche antérieure:
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Il y a sur la tranche de l'épaule gauche une inscription en partie effacée. Je lis « Pr [...] eur ». Pradier sculpteur?
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Pourriez-vous nous donner votre avis sur l'authenticité de cette pièce?
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Douglas Siler (10/4/13)
L’histoire des bustes de Louis-Philippe par Pradier plusieurs sont documentés est assez compliquée. Nous savons par sa correspondance (voir mon édition) qu’il a commencé le premier le 6 août 1830 (lettre à la duchesse d’Orléans). Trois jours plus tard, par lettre circulaire imprimée, il en propose des épreuves en plâtre pour 100 francs à « MM. les Préfets, Maires, etc., des Départements ». Ensuite, le 16 août, il annonce au procureur général Dupin aîné que le buste doit figurer dans la Salle du Conseil de l’Ordre des avocats et qu’il tient à sa disposition des premières épreuves au prix de « 100 f. col nu et 120 f. habillé ». A la même date il écrit au roi pour l’informer qu’une épreuve en plâtre est « déjà […] placée à la Ville » et pour solliciter une séance de pose avant de commencer l'exécution en marbre. Enfin, le 16 novembre, il signe avec le sculpteur Foyatier une protestation adressée au préfet de la Seine, se plaignant de ce qu’un concours organisé par la Ville de Paris pour le buste du roi concours qui avait retenu le sien pour un deuxiume tour, avec ceux de Foyatier et de Caillouette ait été jugé trop à la légère en faveur de Caillouette.
Or Claude Lapaire, dans son récent catalogue raisonné de Pradier, résume tous ces faits dans deux notices séparées, l’une pour le buste réalisé en août 1830 (cat. n° 69) et l’autre pour l'œuvre présentée au concours (cat. n° 70). Pour appuyer l'hypothèse de deux œuvres différentes, il cite le critique d’art Jal qui, ayant relevé la présence de huit bustes du roi au Salon de 1831, affirmait: « J’en vis un il y a quelques mois à l’Hôtel-de-Ville qui me paraît, par souvenir, supérieur à tous ceux qui sont exposés [ici] : il est de M. Pradier. »
Je me demande néanmoins s’il ne s’agit pas d’un seul et même buste, en tenant compte de la lettre datée du 16 août dans laquelle Pradier informe le roi qu’une épreuve est déjà placée « à la Ville », c’est-à-dire (je suppose), à l’Hôtel-de-Ville. Mais qu’il s’agisse de deux bustes différents ou d’un seul, aucun daté de 1830 n’avait été localisé à ce jour et le plus ancien connu était celui commandé par la Maison du roi le 26 septembre 1833 (marbre, Musée du Louvre; cat. Lapaire n° 84). Plusieurs répliques de celui-ci ont été réalisées par la suite, en marbre (1834, 1835, 1840, 1841), en bronze (Salon de 1834), en plâtre et en porcelaine. En mettant le marbre du Louvre à côté de votre plâtre, on constate qu'il en diffère sensiblement:
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Confrontons maintenant votre plâtre avec les deux autres bustes de Louis-Philippe par Pradier, l'un exécuté en 1841 (photo du milieu, cat. Lapaire n° 176), l'autre en 1845 (photo de droite, cat. Lapaire n° 287):
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Ici aussi on est en présence d'interprétations différentes.
Même constatation lorsqu'on compare le buste de Blois à deux statuettes-portraits du roi réalisées par Pradier, l'une vers 1834 (photo du milieu, cat. Lapaire n° 92) et l'autre en 1846 (photo de droite, cat. Lapaire n° 301) :
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Mais le rapprochement de vôtre plâtre avec un médaillon réalisé conjointement par Pradier et le médailleur Michaut en 1830 (Salon de 1831, cat. Lapaire n° 72) est beaucoup plus parlant:
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Là, ce me semble, la ressemblance entre les deux portraits est tout à fait frappante. Comme votre plâtre, le buste gravé sur ce médaillon présente, vu de face, un Louis-Philippe plus stylisé et moins lourd que celui des autres bustes et des deux statuettes. Les boucles des cheveux, distribuées régulièrement autour de la tête et sans raie, sont traitées de la même manière. On y retrouve aussi les mêmes favoris et le même pli horizontal qui traverse le haut du cou.
Très parlant aussi, à titre de comparaison, est le buste en marbre du comte Siméon par Pradier, signé et daté de 1830 (cat. Lapaire n° 74). Nous savons par une lettre de Siméon qu’il fut achevé peu avant le 27 juin 1830, donc quelques semaines seulement avant que Pradier n'eût commencé son premier Louis-Philippe. On sent qu’il a été modelé dans le même esprit que le vôtre.
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Une chose, pourtant, pose problème. La signature inscrite sur la tranche antérieure de votre plâtre ainsi que celle dont on peut deviner les premières lettres sur la tranche de l'épaule gauche rappellent la signature en cursive qu'on rencontre souvent sur les statuettes en bronze de Pradier mais rarement ou jamais il faudra que je vérifie sur ses autres œuvres, qui sont signées plutôt en caractères d'imprimerie. A supposer donc qu'il s'agisse d'un tirage de 1830 (comme l'indique la date qui suit la signature sur le devant), il se peut que ces inscriptions aient été ajoutées plus tard.
Mais je m’étonne que ce plâtre de Pradier n’ait pas été repéré plus tôt car nous connaissons depuis longtemps sa statue de Gaston d’Orléans déposée au château de Blois en 1932 (cat. Lapaire n° 107). L’avez-vous retrouvé récemment dans vos réserves? Avez-vous des informations sur sa provenance?
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Morgane Lecareux (10/4/2013)
Merci pour votre réponse rapide et documentée! Tout cela est très intéressant. Ce buste a été retrouvé dans les réserves au cours du récolement de 2010. Il avait alors un numéro d'inventaire et une attribution erronés. Je n'ai donc à ce jour aucune information sur sa provenance. En voulant le sortir des réserves pour le présenter dans le musée, je me suis interrogée sur cette signature, et le crédit qu'on pouvait lui porter. Mais mes rapides recherches ne m'ont pas permis de trouver une autre occurrence de ce modèle.
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Douglas Siler (15/4/2013)
Le mystère autour de ce buste s'épaissit. Continuant à fouiller dans ma documentation, j'ai retrouvé une fiche sur laquelle j'avais relevé une liste de moulages commandés par le gouvernement et confiés, pour l'expédition, à l'emballeur d'objets d'art Toussaint (Archives Nationales, F21 498). Or, parmi les neuf Louis-Philippe de Pradier qui figurent sur cette liste, il y a celui-ci, expédié le 10 août 1838: « Un buste en plâtre de Sa Majesté par Mr Pradier à M. le Prince de Chimay au Prytanée p[ou]r la ville de Ménars (près Blois). » Me reportant ensuite à la thèse inédite soutenue en 1978 à l'École nationale des chartes par Guillaume Garnier (James Pradier, 1790-1852), je trouve cette même information complétée par la mention suivante: « C'est probablement le buste qui figure aujourd'hui dans les réserves du Musée de Blois (renseignement communiqué par Madame Tissier de Mallerais). » Mais il s'agit selon Garnier non du buste de 1830 mais d'un moulage du buste de 1833.
Qu'une œuvre qui se trouvait autrefois au Prytanée de Ménars créé en 1832 par Joseph de Chimay aboutisse un jour au tout proche château de Blois, c'est plausible. Je me demande toutefois si l'ancienne conservatrice de votre musée avait une raison précise pour privilégier cette thèse. Pourriez-vous lui poser la question? Elle connaît d'ailleurs mon site, étant l'arrière-petite-fille de la belle-sœur de Pradier! (Voir ici même, sous le titre Un étonnant lien entre Louise Pradier et... Johan Barthold Jongkind, la discussion au sujet de son aïeul Emmanuel Sano, grand ami du peintre Jongkind.)
Toujours est-il que si votre Louis-Philippe est bien celui qui fut expédié à Ménars en 1838, c'est à tort, me semble-t-il, que Guillaume Garnier le rattache au buste de 1833. Pour moi, à en juger d'après les photos, il s'agit d'un tout autre modèle, et vraisemblablement d'un des multiples moulages exécutés par Pradier sur son buste de 1830.
En ce qui concerne sa signature en cursive, je peux confirmer que la première connue parmi celles que j'ai documentées figure sur sa statuette-portrait en bronze d'Auguste Bessas de Lamégie datée de 1836 (cat. Lapaire n° 105). On la retrouve fréquemment ensuite sur d'autres statuettes mais jamais, sauf erreur de ma part, sur ses bustes. Le Comte Siméon exécuté en 1830 est bien signé en caractères d'imprimerie, de même que les Louis Philippe de 1833 et de 1845. Pour le Louis-Philippe de 1841 couronné de feuilles de chêne, le marbre du Louvre répertorié par Claude Lapaire (cat. n° 175) n'est ni signé ni daté.
Je vous signale enfin qu'en plus des neuf moulages confiés à l'emballeur Toussaint, une quinzaine d'autres commandés par le gouvernement entre 1834 et 1840 pour d'autres destinataires (la Manufacutre de Sèvres, le château de Fontainebleau, la Villa Médicis, les villes de Gravelines, Saint-Chéron, Chièvres, Arras, etc.) sont également documentés aux Archives Nationales (série F21 10). Guillaume Garnier les énumère dans sa thèse en les rattachant tous au buste de 1833. Ce serait intéressant de les rechercher pour les comparer avec votre plâtre.
Vous m’avez écrit que celui-ci était inventorié avec une attribution erronée. Pourriez-vous me dire ce que c’était? Puis-je vous demander aussi s’il est déjà visible dans le musée? Sinon, comptez-vous le présenter dans le cadre d’une exposition ou d’un dossier?
Au cours de mes recherches ces derniers jours, j'ai eu la grande surprise de découvrir, sur le site des Musées de la Région Centre, deux autres œuvres attribuées à Pradier qui se trouvent dans vos réserves. Il s'agit de deux très grandes statues en plâtre patiné de Corneille (H. 210 cm, photo de gauche) et de Molière (H. 212 cm, photo de droite), toutes deux des cessions gratuites de l'État en 1897:
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Jamais je n’avais entendu parler de ces statues et Claude Lapaire ne les signale pas dans son catalogue raisonné (nous ne connaissons qu’une statuette représentant Molière assis, cat. n° 456). Avez-vous des renseignements sur leur provenance?
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Morgane Lecareux (16/4/2013)
Vraiment je vous remercie pour votre recherche et toutes ces informations. J'ai recherché dans la documentation des éléments supplémentaires, rien à propos de ce buste de la part de l'ancienne conservatrice. Je vais lui poser la question et je vous tiens au courant. Je n'ai retrouvé de documents que dans le dossier du Gaston qui est un dépôt de Versailles (échanges avec le professeur Jacques de Caso en 1984 relatifs à l'exposition de Genève et un courrier de 2005 de Claude Lapaire qui demande des clichés de la statue). Notre buste est marqué du n° d'inventaire 861.148.1 (on le voit sur le dos du buste), mais ce numéro est en fait celui d'un autre buste de Louis-Philippe, également dans nos réserves. Voici une photo:
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Ce buste n'est pas signé et je n'ai aucune attribution actuellement. Il s'agit d'un plâtre, H. 78 cm, donné au musée avant 1861 (cliquez ici pour voir la fiche technique sur le site des Musées de la Région Centre). J'ai juste repéré que c'était le même modèle qu'un buste conservé à Chantilly, musée Condé, n° OA 896.
L'autre buste de Louis-Philippe est actuellement présenté dans le musée des Beaux-Arts du château. Vous êtes bien entendu le bienvenu si vous voulez passer le voir.
Quant aux deux sculptures de Molière et de Corneille, ce sont deux grands formats conservés dans une cave assez difficile d'accès. Dépôts de l'Etat de 1897. Leur attribution à Pradier vient d'une mention dans nos registres d'inventaire, mais je n'ai rien de plus pour confirmer ou infirmer cette attribution. Il faudrait que je retourne les voir pour vérifier les inscriptions.
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Douglas Siler (21/4/2013)
Votre deuxième buste en plâtre de Louis-Philippe (photo de gauche) semble être effectivement identique au plâtre de Chantilly (photo de droite):
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Les boucles des cheveux et les traits du visgage sont les mêmes et chacun porte le même uniforme brodé de feuilles de chêne avec quatre boutons entre le col et l'écharpe. Chacun porte aussi la croix de la Légion d'honneur et la croix de l'Ordre du Saint-Esprit. Les dimensions sont essentiellement les mêmes aussi. Blois: H. 78 x L. 61 x P. 35 ; Chantilly: H. 79 x L. 65 x P. 33 cm (fiches techniques sur le site des Musées de la Région Centre et dans la base Joconde).
On s'aperçoit pourtant que ce modèle diffère en plusieurs points du Louis-Philippe en uniforme ciselé par Pradier en 1845 (photo de droite):
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L'uniforme du marbre n'est pas brodé et n'a que trois boutons au lieu de quatre. Le col est aussi un peu différent et la croix de la Légion d'honneur est absente.
Dans sa notice sur ce marbre (cat. n° 287), Claude Lapaire signale dans les collections du musée Carnavalet un bronze signé par le fondeur Lenoir-Ravrio (1784-1846) qui présente plus d'affinités avec vôtre plâtre:
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Mais les feuilles de chêne brodées sur la veste sont différentes, les boutons sont plus petits et plus nombreux, et la croix de la Légion d'honneur est toujours absente.
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Morgane Lecareux (29/4/2013)
Voici la réponse de Martine Tissier de Mallerais:
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A priori, je ne me souviens absolument pas d'avoir établi un lien entre ce buste et celui envoyé au prince de Chimay. Pourriez-vous me rappeler en quelles circonstances j'ai été amenée à établir ce lien? Est-ce récent ou du temps où j'étais à Blois? Je n'ai eu à travailler spécifiquement sur Pradier que l'année dernière puisqu'il avait un lien de famille avec mon arrière grand-père. J'ai dû rédiger un article pour une revue parisienne sur cet arrière grand-père et ses liens avec les artistes de l'époque.
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Sinon pour le Corneille et le Molière, ils sont sans attribution dans le courrier d'accord de dépôt. Je continue à chercher l'origine de cette attribution à Pradier.
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Douglas Siler (29/4/2013)
Merci pour la réponse de Mme Tissier de Mallerais. Si vous avez l’occasion de lui écrire à nouveau, vous pouvez lui rappeler qu’elle avait communiqué avec Guillaume Garnier vers 1976-1977, à l'époque où il préparait une thèse sur Pradier pour l’École des Chartes. N’aurait-elle pas conservé une copie de sa correpondance avec lui? Malheureusement G. Garnier est décédé et j’ignore si sa documentation pour ce travail, conservée, je crois, au département des sculptures du Louvre, peut être consultée.
Auriez-vous la possibilité de vous renseigner sur l’éventuelle présence d’un buste de Louis-Philippe dans les collections du château ou du Prytanée de Ménars? Peut-être aussi à la Mairie de cette ville puisque la liste des bustes expédiés par l’emballeur Toussaint précise: « Un buste en plâtre de Sa Majesté par Mr Pradier à M. le Prince de Chimay au Prytanée p[ou]r la ville de Ménars (près Blois). » Donc s'il a été envoyé au prince de Chimay pour la ville de Ménars, il n’est pas nécessairement resté au Prytanée ou au château.
J’aimerais bien examiner ce buste dans votre musée puisqu’il est maintenant exposé, mais, hélas, j’ai peu d’espoir de pouvoir le faire dans un proche avenir. En attendant ce serait très utile si vous pouviez prendre quelques autres photos haute résolution de face pour une meilleure comparaison avec le buste représenté sur le médaillon Pradier/Michaut daté de 1830 car celle que vous m’avez envoyée et qu’on trouve aussi sur le site des Musées de la Région Centre est prise d’un angle légèrement différent.
Claude Lapaire m’a écrit qu’il ne pouvait rien dire de plus sur cette question que ce qu’il a publié dans son catalogue raisonné. Il n'a rien dit au sujet du Corneille et du Molière. Est-ce vos registres précisent à quel endroit ces deux statues se trouvaient avant leur dépôt par l’État en 1897?
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