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Joël Montarnal (Paris, 26/1/2007)
Collectionnant les dessins, j'ai récemment trouvé un lavis sur trait de mine de plomb avec quelques rehauts de sanguine, qui porte la signature « J. Pradier ». Il s'agit visiblement d'un projet pour un bas-relief d'environ 17 sur 50 centimètres, qui est collé sur un montage ancien, mais plus tardif que le dessin, puiqu'un cartel indique le nom « Pradier » et les dates de naissance et de mort de cet artiste, la première date étant d'ailleurs curieusement erronée: 1794 au lieu de 1790.
Ayant cherché à identifier la scène allégorique qui est représentée, j'ai consulté le catalogue Statues de chair qui mentionne, page 190, un projet pour le Palais Bourbon (aujourd'hui l'Assemblée nationale), figurant La Royauté publiant l'amnistie et finalement non réalisé, alors qu'il devait, si j'ai bien compris, constituer le pendant du relief de L'Instruction publique qui, lui, a été réalisé et subsiste de nos jours. Le catalogue cite une description par J. Gaberel qui, sauf erreur de ma part, me paraît très fortement correspondre à mon dessin. Le catalogue précise ensuite que rien ne subsisterait de ce projet. Je tenais donc à vous informer de cette trouvaille et je serais très heureux, si vous avez l'occasion d'être à Paris, de vous montrer ce dessin, s'il vous paraît intéressant pour vos recherches sur Pradier.
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Douglas Siler (27/1/2007)
Qu’il s’agisse du projet évoqué par Gaberel ou d’un autre, votre dessin est certainement d’un très grand intérêt. J’ai transmis votre courriel à M. Claude Lapaire, qui prépare un catalogue raisonné de l’œuvre sculpté de Pradier. Comme nous projetons de nous rencontrer bientôt à Paris, nous aurons peut-être l'occasion de profiter de votre aimable invitation. En attendant, auriez-vous la possibilité de m’envoyer une photo du dessin?
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Joël Montarnal(29/1/2007)
Voici la photo demandée. Je vous précise qu'il n'y a pas d'inscription au dos du montage. Seules subsistent, côté face et en bas du montage, des traces d'écriture à l'encre mais qui ont malheureusement été coupées, ce qui les rend illisibles.
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Je joins un texte (cliquez ici pour l'ouvrir) dans lequel j'ai tenté d'analyser les points de concordance entre ce dessin et la description de Gaberel citée dans le catalogue Statues de chair.
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Douglas Siler (3/2/2007)
Votre dessin est vraiment extraordinaire et votre analyse me paraît tout à fait juste. Deux remarques rapides: la signature est certainement autographe et le ratio hauteur/ largeur (env. 0,34) est quasiment identique à celui du modèle en plâtre de L'Instruction publique (env. 0,35) reproduit dans Statues de chair. A mon avis il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un 2e bas-relief projeté par Pradier pour le Palais Bourbon. Une autre description de l’œuvre décrite par Gaberel a été publiée en 1838 dans le Journal des artistes. Je vais la chercher dans mes dossiers.
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Douglas Siler (18/2/2007)
J’ai communiqué la photo de votre dessin ainsi que votre analyse à M. Lapaire, qui m’a envoyé les remarques suivantes (très provisoires):
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La photo, peut-être un peu floue, ne montre pas la manière de dessiner de Pradier. Il ne s’agit pas d’une esquisse. Les traits sont précis, sans reprises. Les ombres indiquent que le dessin est fait devant un relief existant. Je ne connais aucun dessin, parmi les quelque 300 étudiés, qui corresponde à cette main. S’agit-il du travail d’un élève ou d’un amateur, fait à la demande de Pradier ou d’un journaliste qui aurait voulu le reproduire?
S’il n’est pas de Pradier (à voir devant l’original) le dessin est néanmoins d’une grande valeur documentaire. Il n’y a guère de doute qu’il reproduise le plâtre de La royauté publiant l’amnistie.
Il montre une composition beaucoup moins dense que L’Instruction publique et ne semble pas à la hauteur des travaux à peu près contemporains: Mariage de la Vierge (1835-42), Beaujolais (1835-1838), Strasbourg et Lille (1836-1838), Vierge d’Avignon (1837-38), ou les figures du Luxembourg (1840-41).
Pradier a peut-être récupéré quelques éléments pour L’Instruction. Éléments du vêtement de la figure centrale, enfant nu, mais sans rien reprendre littéralement. La Justice préfigure une étude pour L’Immortalité (MAH 1852-97, Statues de chair n° 139). C’est bien la seule figure qui fasse penser à un travail de Pradier dans ce dessin.
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Pour moi, comme je l’ai signalé à M. Lapaire, l’authenticité de la signature « J. Pradier » ne fait pas de doute. Je vois donc mal comment il pourrait s’agir du travail d’un élève ou d’un amateur. Mais nous en discuterons sur place...
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Joël Montarnal(19/2/2007)
Très intrigué par les observations de M. Lapaire, j'ai regardé attentivement mon dessin pour voir s'il comporte des repentirs. J'en ai trouvé clairement un, qui concerne la figure du condamné tenant un crucifix dans sa main gauche. En effet, je m'aperçois qu'une variante a été effacée par grattage mais qui reste visible à la loupe à la lumière: c'est de la main droite qu'il tenait initalement le crucifix et la position de l'avant-bras était un peu plus inclinée vers la gauche que dans le tracé définitif qui a été repris au lavis. Par ailleurs, il me semble, mais avec moins de certitudes, que des hésitations existent pour le bout de la hache, qui paraît avoir été d'abord dessinée avec une sorte de pointe mais qui a été partiellement effacée.
Je m'aperçois aussi que, si, comme je vous l'avais déjà signalé, une écriture a été tracée sur le bord du montage et a été ensuite coupée, il y a également des traces d'écriture à l'encre brune qui ont été grattées et coupées sur le bord inférieur du dessin proprement dit. Notamment en bas à gauche, je crois voir un 12 en chiffres romains mais le fait que le dessin a été gratté et insolé, ne facilite guère la lecture.
En outre, il existe une fissure dans le papier tout à fait à droite (au niveau de l'allégorie de la Religion et de la signature), ce qui m'a conduit, dans un premier temps, à me demander s'il ne s'agissait pas d'une bande rapportée et raccordée avec le reste du dessin. Or, cette fissure est partielle et cette partie qui porte la signature est bien solidaire en son milieu avec le reste du dessin.
S'agissant de la stylistique du dessin, j'avais intuitivement ressenti des doutes par rapport aux dessins de Pradier figurant dans Statues de chair et ceux récemment exposés à l'École des beaux-arts. Il me semble y avoir néanmoins certains traits de parenté partiels entre mon dessin et ces dessins autographes. Je pense notamment au traitement du visage de l'étude pour la Madeleine (page 315 du catalogue Statues de chair) qui me paraît assez proche du visage de la figure centrale de la Royauté dans mon dessin (traitement de la bouche et trait soulignant le relief du menton) mais, bien évidemment, je peux me tromper...
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Douglas Siler (21/2/2007)
J’ai lu avec le plus grand intérêt vos nouveaux commentaires et les ai communiqués à M. Lapaire. Nous nous réjouissons de pouvoir examiner le dessin sur place la semaine prochaine.
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Joël Montarnal(21/2/2007)
Merci. J'aurai dans mon bureau un exemplaire de Statues de chair ainsi que le fascicule de l'exposition de l'École des beaux-arts sur les dessins de Pradier, ceci pour nous permettre des comparaisons.
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Douglas Siler (18/1/2012)
Près de cinq ans après notre visite chez M. Montarnal, je tiens à lui remercier encore de son aimable accueil. Entre-temps, son dessin a été reproduit dans le magistral ouvrage de Claude Lapaire, James Pradier et la sculpture française de la génération romantique, pour illustrer la notice consacrée à ce projet perdu du sculpteur (p. 287, n° 118). M. Lapaire le commente en ces termes: « Le dessin récemment découvert a été exécuté d'après le modèle en plâtre par une main qui ne paraît pas être celle de Pradier mais probablement celle d'un de ses élèves, avec le souci de rendre soigneusement l'effet d'une œuvre en relief. Il est signé par Pradier et comporte quelques repentirs témoignant de minimes changements apportés avant que le sculpteur ne le présente à son commanditaire. [...] »
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Douglas Siler (26/9/2012)
M. François Auffret, président de la Société des Amis de Jongkind, a eu l'amabilité de me communiquer le Journal des Artistes de 1838 (XIIe année, 2e vol., N° 7, 12 août 1838) numérisé dans Google Books où il est question du « groupe colossal » auquel travaillait Pradier:
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M. Pradhier [sic] exécute en ce moment un groupe colossal qui doit être placé à la droite du pérystile [sic] du palais de la chambre des députés; il réprésente la royauté publiant l'amnistie; aux pieds de la figure courronnée est une femme qui implore la clémence souveraine; elle tient dans ses bras un petit enfant, le roi arrête la main de la justice qui ordonne le supplice d'un condamné politique.
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Cette description n'est, en fait, qu'un extrait tiré de la notice sur Pradier publiée deux mois plus tôt, le 15 juin 1838, par Jean-Pierre Gaberel dans la Bibliothèque universelle de Genève. Voici une autre description donnée l'année suivante par Louis Huart dans Galerie de la Presse, de la Littérature et des Beaux-Arts, première série, 1839 (également numérisée dans Google Books).
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A peine Pradier avait-il terminé les deux colossales statues de la place Louis XV [place de la Concorde], que déjà son infatigable talent s'exerçait sur un sujet plus colossal encore; le célèbre sculpteur s'occupe en ce moment d'un groupe qui doit être placé à droite du péristyle de la chambre des Députés. Le sujet de cette vaste composition est la Royauté publiant l'Amnistie. L'ébauche en plâtre de ce groupe est déjà entièrement terminée et toutes les personnes admises dans l'atelier de l'artiste s'accorde à en faire un éloge mérité. Du reste cette composition allégorique n'est pas une flatterie pour le monarque du jour. Rien dans le choix des personnages ne rappelle notre époque. De la sorte, quel que soit le parti politique qui vienne à triompher en France, l'ouvrage du sculpteur est toujorus certain de rester debout; car, à moins qu'un destin bien fatal ne nous ramène aux froides cruautés de 93, la statue de la Clémence sera toujours vénérée.
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Comme Gaberel et le Journal des Artistes, Huart parle d'un « groupe ». Comme eux, toutefois, il mentionne aussi que l'œuvre devait être placée « à droite du péristyle de la chambre des Députés ». Il ne pouvait donc s'agir que d'un bas-relief destiné à orner la façade du bâtiment. Mais finalement, on ne sait pourquoi, son sujet et son emplacement changeront et Pradier sera chargé d'exécuter le bas-relief de L'Instruction publique placé à gauche du péristyle, faisant pendant au Prométhée animant les arts de Rude, placé à droite.
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