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Bob (Grenoble, 19/7/2014)
Je me permets de prendre contact avec vous car je suis un peu dans une impasse et bien que ma question ne soit en rapport direct avec James Pradier je vous la pose car les réponses apportées à la discussion Une rare épreuve en bronze de L'oiseau tombé du nid m'ont paru pleines d'érudition et de nature à satisfaire mon besoin d'informations. S'il s’avérait que ce soit impossible, j'apprécierais que vous m'indiquiez les coordonnées de personnes susceptibles de pouvoir me répondre.
Je dispose d'une épreuve en bronze de L'Enfant Dieu du sculpteur Louis Valentin Élias Robert, signée et datée L.V.E. ROBERT 1847 et inscrite au dos du socle DELAFONTAINE. Hauteur 35,8 cm, largeur 18,6 cm, poids 8,7 kg. Voici quelques photos:
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D'un point de vue global, il me semble que ce bronze est quasi identique au marbre du Musée du Louvre, dont on trouve les photos ci-après et la fiche technique dans la base Joconde:
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Donc l'exemplaire du Louvre est quasi identique au mien à trois différences près: la matière (marbre), la taille (H. 83 x L. 34 x P. 42 cm) et la date de création (1846), ces trois différences ne prouvant rien en soi. Donc j'ai besoin d'éléments soit techniques soit esthétiques pour infirmer ou confirmer l'authenticité de mon bronze.
Le problème qui se pose à moi est de savoir si il se peut que ce ne soit pas un bronze authentique de Robert car certains professionnels ont mis en doute
son authenticité sous le prétexte que son existence ne figure dans aucun catalogue de l'auteur, et que la marque du fondeur Delafontaine n'est pas celle habituellement
vue. Je vous ferai part ultérieurement de mon avis à ce sujet mais c'est le vôtre qui m'intéresse pour l'instant.
Voici une photo haute définition des inscriptions ciselées au dos:
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On y constate la présence de deux ébauches de ciselure: la première figure au-dessous du nom DELAFONTAINE et laisse apparaître DEL. La seconde est au-dessus et à droite du nom et on peut y lire AFONT. Je n'ai pas pu identifier la suite soit AINE.
Pour compléter votre information, j'ai pris contact avec Pierre Kjellberg, auteur d'ouvrages écrits qui citaient Élias Robert mais malheureusement il est décédé et je n'ai pu parler qu'à son fils. Par contre, j'ai appris que Robert a été l'élève de Pradier et de David d'Angers, voici une information qui nous rapproche et nous fait quelque part cause commune (un peu ?).
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Douglas Siler (10/10/2014)
Je vous remercie d'avoir soulevé ces questions relatives à L'Enfant Dieu de Louis Valentin Élias Robert (1819-1874), elles me fournissent l'occasion de lancer une nouvelle discussion ici sur ce sculpteur relativement peu connu aujourd'hui. Comme tant d'autres élèves de Pradier, il a largement contribué à la décoration des édifices civils parisiens l'Opéra Garnier, le Louvre, les gares ferroviaires, etc. et notamment, avec Noémi Constant et Charles Guméry, à celle de la Fontaine Saint-Michel. Ses bronzes figurent encore parfois dans les ventes publiques (cf. par exemple les bases Artprice et Invaluable). Mais venons-en au problème qui vous intéresse.
N'ayant pas vu les catalogues de son œuvre (il en existe donc plusieurs?), j'ignore dans quelle mesure ils sont complets et à jour. Toujours est-il que l'existence d'une édition Delafontaine de L'Enfant Dieu est bien signalée dans le Répertoire des fondeurs du XIXe siècle de Bernard Metman (éd. Jacques de Caso, Archives de l'Art français, t. III, 1989), qui consacre une longue notice à cette maison fondée au 18e siècle par J.-B. Maximilien Delafontaine (1750-1820). Reprise en 1818 par son fils Pierre-Maximilien (1777-1860), elle fut dirigée à partir de 1840 par son petit-fils Auguste-Maximilien (1813-1892) et ensuite, à partir de 1884, par son arrière-petit-fils Henri-Maximilen (?-1932) jusqu’à la fermeture de la maison en 1905. Selon Metman, Auguste-Maximilien « édita [...] d'Élias Robert l'Enfant Dieu (plâtre, Salon de 1846, passé au Musée de Montargis marbre, Salon 1847, acquis par le Ministère de l'Intérieur, 1849, a figuré à l'Exposition Universel de 1855), Rabelais, réduction de la statue de l'ancienne cour Napoléon III au Louvre, Le jour et la nuit pour un cartel [...], Sapho. » A noter en passant que toujours selon Metman Robert fit en 1851 un médaillon en bronze pour le tombeau de la femme de Pierre-Maximilien au cimetière Montparnasse. Metman signale aussi de nombreuses œuvres d'autres sculpteurs éditées par la maison Delafontaine, dont plusieurs de Pradier.
En ce qui concerne la marque utilisée par cette maison, Metman en dénombre trois: « A.D. surmontée d'une étoile (probablement de 1840 à 1883) ou le nom soit en cursive, ou en caractères d'imprimerie. » La troisième est donc compatible avec celle qui figure sur votre bronze.
Je trouve dans ma documentation deux exemples de la marque A.D. surmontée d'une étoile: l'une suivie du nom, sur un encrier en bronze, l'autre sans le nom, sur le pied d'un candélabre en bronze.
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Quant aux ébauches de ciselure sur votre bronze, je ne distingue pas très bien les lettres « DEL » au-dessous du nom DELAFONTAINE. Par contre, l'inscription « AFONT » au-dessus du nom, en caractères du même type mais légèrement plus petits, est bien lisible. Ce pourrait être la trace d'une marque qui figurait sur un autre bronze dont le vôtre serait un surmoulage. Cette trace étant donc incomplète et peu lisible, on aurait reciselée le nom complet de l'éditeur sur la nouvelle fonte. Est-ce bien votre hypothèse aussi ou en avez-vous une autre?
A noter que dans la production des bronzes au 19e siècle, il faut bien distinguer entre éditeur et fondeur. A ce propos, citons encore le dictionnaire Metman:
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DELAFONTAINE ne fit pas de cire perdue et ne fondait pas lui-même. Ce fut MOLTZ, en grand partie, qui fondait pour DELAFONTAINE dans ses ateliers de la rue de Rennes.
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Metman signale égalememnt que les réductions en bronze éditées par la maison Delafontaine était confiées, elles aussi, à un sous-traitant:
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La maison DELAFONTAINE ne se servait pas du procédé COLLAS, trouvant que le plâtre nécessaire à ce procédé était trop mou et ne pouvait être retouché. C’était un praticien géomètre, un réducteur spécialisé, WALZ, qui faisait toutes les réductions des œuvres éditées par DELAFONTAINE.
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Comme vous le savez peut-être, la ville natale d'Élias Robert, Étampes, possède son fonds d'atelier donné par sa veuve. Ce fonds consiste en soixante-six plâtres originaux et deux marbres. Pour une description de l'ensemble dans la base Mistral, cliquez ici. La notice principale donne l'historique de la collection:
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A sa mort en 1874, sa veuve fit don du fonds de l'atelier à la ville natale de l'artiste, Étampes; l'année suivante, la municipalité exposait ce fonds dans plusieurs bâtiments publics et en faisait dresser le catalogue. En 1940, cette collection composée presque exclusivement de plâtres originaux, fut reléguée d'abord dans les abattoirs municipaux, puis dans les combles de l'hôtel de ville. Cette dispersion entraîna de si graves dégradations que la ville se désintéressa de cet ensemble important pour l'histoire de la sculpture française au 19e siècle. Plus de vingt plâtres ont disparu depuis la publication du catalogue en 1875.
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Si vous cliquez dans cette notice sur la flêche à droite de la mention « voir sous-dossiers », vous obtiendrez une liste complète des pièces composant cette collection. En cliquant ensuite sur l'icône à gauche de chaque titre, vous pourrez lire une notice individuelle sur chaque œuvre. A remarquer en particulier les notices sur deux plâtres de L'Enfant Dieu où il est précisé que le premier mesure environ 40 cm de haut tandis que le second, signé et daté « Robert 1846 », mesure 41 cm de haut, 21 cm de large et 17,5 cm de profondeur. Ces dimensions sont assez proches de celles de votre bronze. A noter aussi que selon ces notices « le marbre date de 1847-48 » (en fait elle est de 1846 voir ci-dessus). D'autres œuvres dans l'inventaire sont signées, comme votre bronze, « L.V.E. Robert ». Encore d'autres, plus tardives, je crois, sont signées « Élias Robert ».
Voici enfin, pour mémoire, les descriptions de l'œuvre publiées dans les livrets du Salon:
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Salon de 1846:
ROBERT (LOUIS-VALENTIN), 9 et 11, rue de l’Abbaye.
2229 – L’Enfant-Dieu; statue en plâtre.
A l’âge où méditer est pour nous un ennui,
Où nos heures en jeux sont toutes dépensées,
Son front grave couvait de sublimes pensées,
Et sa divinité se révélait en lui…
Salon de 1847:
ROBERT (LOUIS-VALENTIN-ÉLIAS), 9 et 11, rue de l’Abbaye.
2185 – L’Enfant-Dieu; statue en marbre.
« O modèle parfait des suprèmes tendresses !
« Courbé sous le fardeau des précoces tristesses;
« Entrevois-tu, déjà pénétrant l’avenir,
« Ce que nous oserons? Ce que tu dois souffrir ? »
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Je ne sais pas si l'absence du prénom « Élias » dans le livret de 1846 est significatif. Il est intéressant en tout cas de remarquer que l'adresse du sculpteur est chaque fois pareille et qu'il avait donc pour voisin son maître, Pradier, dont le principal atelier se trouvait au n° 3 de la même rue, au Palais Abbatial, derrière l'église Saint-Germain-des-Prés.
Il y a une dizaine d'années j'ai été en contact avec le conservateur du musée d'Étampes, Sylvain Duchêne, qui m'a confirmé que le musée ne possédait pas de lettres échangées par Robert et Pradier. Il m'a néanmoins communiqué ce portrait daguerréotype de Robert:
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Voilà. Je crois que j'ai à peu près fait le tour de ma documentation. M. Duchêne serait sans doute en mesure de vous fournir d'autres informations utiles, et pour un autre avis concernant les marques sur votre bronze vous pourriez éventuellement faire appel à Mme Élisabeth Lebon, spécialste de la fonte et des fondeurs. Il faudrait aussi voir le dictionnaire des sculpteurs du 19e siècle de Stanislas Lami qui fournit des listes généralement très complètes des œuvres des artistes. Je n'ai pas encore pu le consulter pour Robert mais je le ferai à la première occasion.
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Bob (11/10/2014)
Je viens de lire votre réponse qui m'offre des éléments propres à renforcer ma conviction que le bronze dont je suis le dépositaire pourrait probablement être un enfant d'Élias Robert.
Notamment les caractéristiques dimensionnelles et l'expression artistique qui sont très proches si on compare un Enfant Dieu authentique et le mien.
A l'opposé, je ne vois pas quels arguments pourraient contester l'authenticité de mon bronze tant du point de vue de sa ressemblance avec les autres Enfant Dieu dont la paternité n'est pas contestée que de l'identité de son auteur et de celle de son fondeur, les deux personnes ayant travaillé ensemble pour d'autres œuvres et leur signatures apposées étant identiques ou presque.
La signature du fondeur de mon exemplaire figurant à l'identique sur d'autres œuvres pour lesquelles l'identité du fondeur n'est pas contestée (à ma connaissance) tend aussi à renforcer l'authenticité de mon exemplaire.
Vous mentionnez l'absence du prénom Élias dans le livret de 1846 mais par ailleurs le pied douche de l'Enfant Dieu (de 1846) en marbre du Louvre mentionne en abrégé L.V.E. ROBERT et comme la véracité de cette œuvre n'est pas contestée, on ne peut donc présumer que cette absence du E dans le livret pourrait être l’aveu du caractère faux de mon exemplaire car alors l'exemplaire du Louvre pourrait être également contesté quant à son authenticité.
Apparemment il semble donc que mon exemplaire soit sincère et que la conservatrice, qui a émis l'hypothèse du contraire, se soit trompée en s'étant basée sur l'absence de mention de mon exemplaire dans les catalogues raisonnés qui inventorient la production de Robert.
Enfin j'ai déjà pris contact depuis six mois avec M. Duchêne et je verrais bien à l'avenir quel est son avis et ses intentions quant à sa faculté de m'acheter ce bronze.
Merci de me communiquer toute information sensible dont vous seriez amené à disposer au sujet de mon exemplaire de l'Enfant Dieu. Un immense merci aussi pour l'ouverture de ce forum sur votre site qui sera propice à l'émergence d'informations, j'espère.
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Douglas Siler (13/10/2014)
Trois questions rapides:
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1° Pouvez-vous me donner les références des catalogues raisonnés de l'œuvre d'Élias Robert (auteurs, dates et lieux de publication)?
2° Avez-vous connaissance d'autres épreuves en bronze de L'Enfant Dieu et, dans l'affirmative, portent-elles aussi une marque de la maison Delafontaine ou de quelque autre éditeur ou fondeur?
3° Êtes-vous d'accord avec mon hypothèse concernant l'inscription AFONT sur votre exemplaire ou en avez-vous une autre?
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Bob (22/10/2014)
Pour répondre à vos interrogations, veuillez prendre connaissance de mes réponses tardives que je vous prie d'excuser:
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1° Références des catalogues raisonnés de l'œuvre d'Élias Robert: à ma connaissance (mais je ne suis pas un spécialiste) il n'y en a pas mais il existe des ouvrages qui traitent (ce ne sont pas des monographies) d'Élias Robert, notamment : Les Bronzes du XIXe siècle. Dictionnaire des sculpteurs par Pierre Kjellberg.
2° Oui, il paraîtrait qu'il existe un autre bronze de L'Enfant Dieu qui, de mémoire, mesurerait environ 24 cm de hauteur mais je ne l'ai pas vu. P. Kjellberg le mentionne dans son livre. Il serait intéressant de pouvoir comparer ces deux exemplaires mais je ne connais pas l'autre propriétaire. Hormis cet exemplaire d'environ 24 cm, je n'en connais pas d'autres.
3° Concernant les inscriptions sur mon bronze, je n'ai pas d'autre hypothèse mais j'émettrais un bémol dans le cas d'un surmoulage. Dans cette hypothèse, elles seraient à l'envers (?).
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Vous écrivez qu'Auguste-Maximilien « édita [...] d'Élias Robert l'Enfant Dieu (plâtre, Salon de 1846, passé au musée de Montargis ». Ce plâtre a disparu du musée après la seconde guerre mondiale selon l'actuelle conservatrice.
Pour compléter, voici une photo de mon bronze dans laquelle j'ai entouré une lettre « D » majuscule qui utilise la même graphie que celle des initiales d'Auguste Delafontaine qu'on trouve sur d'autres bronzes.
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Mais apparemment je n'ai pas pu trouver la lettre « A », cela ne signifie pas qu'elle n'y soit pas mais simplement que j'ai été incapable de l'identifier au dos de L'Enfant Dieu !
Je demeure à votre disposition pour discuter de tout cela et je vous remercie pour vos éclairages.
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