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H.... (Paris, 12/8/2010)
J'ai eu vos coordonnées par le Musée des beaux-arts de Nîmes. Notre maison de famille en Cévennes détient depuis probablement l'origine un buste de Pradier, clairement identifié, datant de 1830, couleur vieux rose. Il s'agit peut-être d'un de nos ancêtres, mais... nous n'en savons rien. J'ai envoyé une copie d'une photo en couleur au Musée des beaux-arts, mais ils n'ont pu répondre à ma question. Seriez vous intéressé à recevoir cette photo pour éventuellement éclairer notre lanterne? Il ne s'agit ni de Charlemagne, ni de Louis-Philippe ni du comte Siméon... (la date engravée est bien 1830). Pensez-vous que Claude Lapaire pourrait nous aider?
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Douglas Siler (12/8/2010)
Une photo du buste serait la bienvenue. En attendant, pourriez-vous me dire quelles sont ses dimensions, même approximatives, et s’il est signé et daté dans le marbre? S’il est daté de 1830, je doute qu’il représente un personnage contemporain qui résidait dans le Midi car Pradier ne semble pas y avoir séjourné si tôt. Pourriez-vous me dire aussi les noms de vos ancêtres dont l’un ou l’autre aurait pu lui servir de modèle, au cas où l’un d’entre eux serait cité dans sa correspondance ou dans le catalogue de Claude Lapaire?
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H.... (12/8/2010)
Merci de votre si prompte réponse. J'aurai l'occasion de prendre les dimensions du buste la semaine prochaine et vous les enverrai. A distance, 40 cm de haut. Le nom « J. Pradier » est gravé sur le côté gauche, vers le bas, avec en-dessous une date 1830.
Jusqu'ici j'ai pensé au colonel Jacques Teissier, plus tard (c. 1840) Teissier du Cros, car il était riche, célibataire et avait des liens avec la Suisse, sa mère étant une Journet de Suisse. Il était colonel du Génie et a vu son avancement bloqué car il était, comme on disait alors, de la religion, i.e. protestant. Il était le frère de la grand-mère de mon arrière-grand-mère et c'est un de mes ancêtres qui recueillit sa succession (opération désastreuse une collection de quelque 100.000 coquillages achetée par un musée suisse). Nous avons des portraits de lui, hélas peu ressemblants au buste. Avait-il une barbe? Peut-être.
Une autre possibilité serait la famille Gleizes, Jean-Antoine, mari d'Aglaë [...], écrivain habitant La Nogarède à Mazères (Ariège), le précurseur des végétariens, ou son frère le colonel Auguste Gleizes, habitant lui aussi en Ariège. Nous avons aussi récupéré les successions de ces oncles lointains et nous avons des lithogravures, elles aussi peu parlantes par rapport au buste. Parmi les autres parents, il y aurait Armand de Quatrefages de Bréau, célèbre scientifique... Nous avons encore d'autres portraits et un autre buste mais ils n'ont rien en commun avec celui-là. Quatrefages était parisien (Musée d'histoire naturelle) et un autre ancêtre, Maurice, habitait également à Paris. Le frère de Maurice, Laurent, était lui résident permanent sur ses terres en Cévennes. Nous avons de nombreux portraits de ces deux derniers... rien en commun non plus avec le buste. Désolé de ne pouvoir vous en dire plus.
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Douglas Siler (12/8/2010)
Je ne crois pas que l’un ou l’autre des noms que vous citez soit mentionnés dans la correspondance Pradier ou dans le catalogue de Claude Lapaire. Mais il faudra que je voie cela de plus près quand j’aurai reçu la photo. Deux questions: Quand vous dites que le nom et la date sont gravés sur le côté gauche, est-ce bien sous l’épaule gauche du personnage? Et dans le nom « Pradier », est-ce qu’il y a un sigma grec (Σ) à la place du « E » ?
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H.... (13/8/2010)
Oui, il s'agit bien de sous l'épaule gauche et oui, il y a bien un sigma grec à la place du E (le nom est gravé en lettres capitales). Je vous avoue que je ne l'avais pas remarqué. De peu d'importance, mais je veux corriger une erreur dans ce que je vous ai écrit: La mère du colonel Jacques Teissier (1780-1841) n'était pas une Journet de Suisse, mais une Françoise Belon de Valleraugue. Les liens étroits entre les Teissier, devenus Teissier du Cros en 1840, avec la Suisse sont postérieurs. Connaissant le caractère parcimonieux des [...] à l'époque (ils rebâtissaient une fortune perdue lors de successions défavorables), je suis convaincu qu'ils n'auraient pas acheté un buste d'un inconnu. Je n'ai jamais rencontré le nom de Pradier dans leur trés abondante correspondance de l'époque et si Pradier n'était pas à Nîmes ou Montpellier en 1830, ce buste doit être étranger à la famille. Comme il est placé dans un cabinet des coquilles depuis..., avec le solde des coquillages de la succession du colonel Jacques Teissier, il est tout à fait possible que ce dernier ait acheté ce buste à Paris ou dans une de ses villes de garnison (il était riche car sans postérité, prodigue et toujours à sec) et qu'il soit arrivé dans la maison familiale avec les restes de la succession du colonel (succession refusée par ses frères et soeurs car peu d'actifs tangibles et beaucoup de dettes, succession acceptée par son neveu Adrien).
Je vais chercher dans la correspondance familiale au sujet de cette succession pour voir si j'y trouve mention d'un buste. On trouve bien des choses étranges dans ces correspondances familiales (prés de 100.000 lettres). A propos d'artistes, j'ai notamment trouvé le peintre montpellierain Esther Gleize remerciant pour un cadeau reçu en contrepartie de trois portraits qu'il avait fait de membres de la famille: il s'agissait d'un trés beau rôti cru... de Chardin. Je pose également des questions aux arrière-petits-neveux du colonel qui sont encore en Cévennes.
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Douglas Siler (13/8/2010)
Je suis content de vous avoir posé ma question au sujet de la signature car la présence d'un sigma à la place du « E » est un indice important. En effet, Pradier semble avoir utilisé cette signature pour la première fois en 1835, sur sa statue de Phidias (cat. Lapaire, n° 76). On la trouve par la suite sur la plupart de ses œuvres importantes. Il est donc probable que la date 1830 sur votre buste n’est pas la date d’exécution et qu’elle a une autre signification, politique ou historique. Le modèle aurait-il joué un rôle dans la Révolution de 1830? On songe à la statuette de Louis-Philippe exécutée par Pradier vers 1834 (cat. Lapaire, n° 92) mais qui porte aussi la date 1830, année de l’accession de L.-P. au trône. Une autre explication serait que la date et la signature sur votre buste aient été ajoutées a posteriori par quelqu’un un marchand, par exemple qui a voulu faire croire ou qui savait effectivement, par tradition familiale ou grâce à tel document, qu'il s'agissait d'une œuvre de Pradier datant de 1830. On connaît d’autres œuvres en marbre sur lesquelles sa signature a été ajoutée ainsi, et quiconque veut l’imiter en trouve plus d’exemples avec sigma que sans…
A remarquer que ce n’est pas par ignorance de l'alphabet grec que Pradier a adopté cette forme de signature car il utilise le sigma correctement, avec la valeur d’un « S », dans les titres gravés en grec sur quelques-unes de ses statues (Phidias, Nyssia…). C’était sans doute plutôt pour donner un petit « parfum » antique à son nom et aussi parce que certains de ses amis l’appelaient familièrement « Phidias » ou « le dernier des Grecs ».
En tout cas votre hypothèse selon laquelle vos ancêtres n’auraient pas acheté le buste d’un inconnu me semble tout à fait juste. N’étant pas (je suppose) collectionneurs de sculptures, il ne l’auraient pas acheté simplement pour la signature. Ils avaient donc sûrement un lien de parenté ou des relations étroites avec le modèle. J’espère que votre correspondance familiale fournira quelque indice.
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Douglas Siler (17/8/2010)
J’ai bien reçu les photos de votre buste. La date et la signature avec le sigma sont bien lisibles.
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Ce buste ressemble par sa forme à plusieurs autres exécutés par Pradier au cours de sa carrière, mais pour l’instant je ne peux malheureusement pas identifier le modèle. Si vous découvrez de nouvelles informations dans vos archives familiales ou ailleurs, veuillez me tenir au courant. De mon côté j’en parlerai à Claude Lapaire et lui transmettrai les photos.
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H.... (17/8/2010)
En regardant de plus près le buste (je n'avais à Paris qu'une mauvaise photo), j'ai constaté que j'étais dans l'erreur et que la date gravée n'est pas 1830 mais 1850 (avec un petit doute, vers 1890, mais je ne le pense pas). Bien évidemment je vous tiendrai au courant de mes notes de lecture, mais je devrai piocher dans quelques 5.000 lettres entre 1835 et 1845 et cela me prendra du temps. Je sais que cette succession du colonel Teissier a été trés souvent mentionnée dans la correspondance de son neveu Adrien et j'ai un petit espoir. Si je fais fausse route, et s'il ne s'agit pas de la succession Teissier, alors le ciel me vienne en aide. Prés de 20.000 lettres à dépouiller et je ne puis, hélas, donner tout mon temps à cette recherche.
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Douglas Siler (30/8/2010)
J’ai signalé votre buste à Claude Lapaire et je lui enverrai les photos. La réinterprétation de la date – 1850 au lieu de 1830 – change tout! A cette époque la présence du sigma dans la signature est tout à fait normale. Et puis aussi, Pradier a fait plusieurs bustes d’amis et de personnalités nîmois ou méridionaux autour de 1850. Vous les trouverez tous dans le livre de Claude Lapaire: les écrivains nîmois Jules Canonge (1848) et Jean Reboul (1849); le peintre nîmois Barbier-Walbonne (1850); les peintres aixois François-Marius Granet (1850-1851) et Victor Chavez (1851); Eugène Lagarde, sénateur et préfet du Gard (1851); Jean Tur, membre du conseil général du Gard (1851); etc. Il faut aussi voir le buste d’Edmond Cavé, directeur des Beaux-Arts (à Paris), exécuté en 1845-46, qui ressemble beaucoup au vôtre, de même que celui de Victor Chavez.
Je viens de parcourir rapidement la correspondance inédite du sculpteur pour l’année 1850, année marquée par deux longs séjours à Nîmes. Je n’y trouve aucun buste qui n’a pas été étudié par Claude Lapaire, sinon un projet de buste mentionné dans une lettre adressée vers le 29 janvier 1850 à son praticien Charles Poggi (qui dégrossissait alors à Nîmes, d’après ses modèles, le marbre des cinq statues de la fontaine de l’Esplanade). Pradier lui écrit donc: « Je crois que si le temps est beau il serait bon que je passe à Nîmes pour ce buste du préfet et celui du maire que j’ai envie de faire. Je crois que je ferai bien d’emporter de la terre [glaize] avec moi. » Or le préfet, c’est vraisemblablement Eugène Lagarde, qui va inaugurer la fontaine en 1851 et dont Pradier a effectivement exécuté le buste (aujourd’hui dans une coll. part. en Belgique). Quant au buste du maire de Nîmes, on n’en connaît aucun – à moins que ce ne soit le vôtre. Il s’appelait à l’époque Ph. Eyssette et avait été élu maire provisoire le 23 août 1848 puis maire titulaire le 27 sept. 1848. Mais Pradier aurait surtout connu son prédécesseur, Ferdinand Girard, maire de 1832 à 1848, car c’est sous l’administration de ce dernier que la fontaine lui a été commandée. Ce Girard aurait-il eu un lien de parenté ou d’autres liens avec votre famille? Sinon, auriez-vous d’autres ancêtres avec qui Pradier aurait pu se lier à Nîmes?
J’allais oublier de vous signaler – si vous ne le savez pas déjà – que le Musée des beaux-arts de Nîmes vient d’acquérir d’un particulier à Nîmes le buste en marbre de Pierre Érard par Pradier (1843) pour 14.000 €. Vous trouverez des détails sur cette acquisition dans un article du journal Midi-Libre. Au moins deux erreurs y apparaissent, l'une dans le titre, qui donne la fausse impression que le buste a été acquis par le musée de Montpellier, et l'autre dans le texte même où nous apprenons que Pradier était un artiste... nîmois!
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H.... (31/8/2010)
Merci pour toute cette information. Les noms d'Eyssette et de Girard ne me sont pas inconnus (rencontrés au hasard de lectures de lettres) mais sans lien visible avec la famille. Néanmoins je vais relire la correspondance du père de mon arrière-grand-père qui était membre du conseil général du Gard et maire de Valleraugue à cette époque. Lagarde et Jean Tur sont également des noms rencontrés.
J'ai oublié de vous mentionner que le buste que je prenais pour un marbre vu sa couleur rosée et son poids est en fait creux et donc probablement un plâtre, la chose surprenante quand même étant un genre de vernis qui le recouvre...
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