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Gérard Bruyère (Archives municipales de Lyon, 18/5/2003)
Excusez, je vous prie, le retard avec lequel je vous accuse réception des renseignements que vous m’avez communiqués aux bons soins de M. Dumoulin-Pailliez. Avant de vous faire une réponse et de vous remercier pour votre obligeance, je souhaitais prendre le temps de jeter un œil sur les dossiers d’archives du musée des beaux-arts, avec l’espoir d’y trouver les documents relatifs à l’acquisition de l’Odalisque du Salon de 1841. Votre aimable envoi de la semaine dernière m’interdit de prolonger plus longtemps mon silence. Je remets donc à plus tard la consultation de ces archives et je vous adresse, dès aujourd’hui, les notes que j’ai prises au sujet de cette acquisition.
Peut-être devrais-je d’abord vous dire un mot de mes travaux.
J'effectue, depuis plusieurs années, des recherches en vue
d'une thèse d'histoire de l'art qui a pour sujet « L'idée
de musée, l'exemple lyonnais : recherches sur l'origine et
la formation des collections publiques à Lyon, XVIIIe-XXe
siècle ». En ce moment, je dépouille la presse locale et
je trouve beaucoup d'intérêt dans la lecture de certain
quotidien publié entre 1841 et 1848. Le Rhône
(c'est le titre de cette feuille) est en effet le journal
officieux du département et de la mairie de Lyon.
Ce qui m'intéresse dans cette question, c'est la nouveauté
et l'audace de la démarche relativement à la situation
lyonnaise. Jusqu'ici, l'on se faisait une obligation de
réserver les commandes à des artistes, lyonnais de
naissance, ou formés à l'École des beaux-arts locale. Lyon
avait quasiment un sculpteur en titre en la personne de
Legendre-Héral (1797-1851). Or, avec la mairie Terme, les
commandes sont, non seulement mieux réparties, mais
l'administration ne craint plus de faire appel à des
artistes complètement étrangers à l'école lyonnaise. Si
Pradier n'a rien réalisé pour Lyon, Carle Elshoect, lui, y
laissa trois bustes et un groupe monumental.
Voici, sans plus d'ordre que la chronologie, les articles où
apparaît le nom de Pradier:
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Le Rhône :
journal de Lyon, de l'Est et du Midi : politique,
littéraire, artistique, scientifique et industriel,
n° 27 (20 avril 1841), p. 1.
Conseil municipal, séance du 15 avril (présidence
de Terme, maire) :
« M. le maire lit un rapport dont les conclusions
tendent à émettre un avis favorable à
l'acceptation d'un legs de 10,000 fr. fait à
l'hospice de la Charité, pour l'érection de la
statue en marbre de St-Vincent de Paule, par M.
Rocoffort de Vinière.
M. Rocoffort, dans son testament, a voulu que la
statue à l'érection de laquelle il consacrait
10,000 f., fût placée au milieu de la première
cour d'entrée et entourée d'une balustrade ; qu'il
fût, pour son exécution, ouvert un concours entre
les artistes de Paris et ceux de Lyon, avec
exposition de modèles, et que le choix fût arrêté
par un jury composé en partie de membres de
l'institut.
Les hôpitaux ne trouvent aucun avantage pécuniaire
dans l'acceptation du legs ; mais désirant
s'associer à la pensée du testateur pour honorer la
mémoire du bienfaiteur des enfants pauvres et
abandonnés, et doter en même temps l'hospice d'un
monument dont la place ne pouvait être mieux
choisie, le conseil d'administration demande
l'autorisation d'accepter.
L'exécution de la statue en marbre, telle que le
prescrit le testament, offre de notables difficultés
; cette statue, placée au centre de la première
cour, gênerait la circulation, et détruirait
l'aspect monumental de l'édifice ; enfin les
conditions de concours et de choix présenteraient
aussi de graves inconvénients : c'est ce que
l'administration des hospices a compris ; c'est ce
qu'ont compris également et M. Rocoffort, légataire
universel[,] et M. Laplace, exécuteur testamentaire,
tous deux neveux du défunt : aussi consent[ent]-ils
à ce que la statue soit élevée dans la cour de la
Crèche, et son exécution confiée soit à
M. Pradier, soit, à
son refus, à tout autre statuaire choisi parmi les plus
distingués de la capitale. »
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Ibidem,
n° 102 (19-20 juillet 1841), p. 3.
Dans la rubrique « Chronique de Lyon et du
département du Rhône » :
« - Sur la demande de M. le maire de Lyon, M. le
ministre de l'intérieur a donné au musée de Lyon
l'odalisque de M. Pradier.
Ce morceau, qui est un des plus beaux de la sculpture
moderne, ne sera toutefois livré à la ville de Lyon
qu'après être resté un an exposé au Luxembourg »
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Ibidem,
n° 443 (1842-08-18), p. 3.
Dans la rubrique « Chronique de Lyon et du
département du Rhône » :
« La statue en marbre, représentant une odalisque,
qui a été accordée en 1841 par le ministre de
l'intérieur au Musée de notre ville, est restée
exposée pendant un an dans les galeries du
Luxembourg. Elle vient d'en être retirée pour être
immédiatement expédiée vers sa destination. Notre
Musée recevra donc bientôt ce chef-d'uvre
moderne qui fait tant d'honneur au ciseau de M. Pradier. »
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Ibidem,
n° 559 (1 janvier 1843), p. 2.
Dans la rubrique « Chronique de Lyon et du
département du Rhône » :
« - L'exposition de la Société des Amis-des-Arts
sera fermée lundi, mardi et mercredi de la semaine
prochaine. Cette fermeture momentanée est rendue
nécessaire par les changements que commande
l'arrivée de nouveaux tableaux. Ces ouvrages, parmi
lesquels on cite un tableau d'histoire de M.
Dévéria, un paysage envoyé de Rome par M.
Pontus-Cinier [sic], qui a eu tant de succès à
l'exposition précédente, et deux grandes
compositions de M. Lavergne, peintre Lyonnais [sic
maj.], ajouteront un puissant attrait à la
curiosité du public déjà si vivement excitée par
la séduisante Odalisque de M. Pradier, par le magnifique
tableau de fleurs de M. S. St. Jean et par d'autres
uvres capitales de nos artistes Lyonnais [sic
maj.]. »
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Gérard Bruyère (8/6/2003)
Le temps m'a manqué pour
explorer nos archives à la recherche des documents relatifs
à l'acquisition de l'Odalisque, comme je vous l'avais promis
dans mon premier message. Soyez bien persuadé que je
n'oublie pas ma promesse. Toutefois, en poursuivant mon
dépouillement systématique du Rhône, j'ai
rencontré dernièrement le jugement du critique d'art de ce
journal à propos du marbre présenté, au début de 1843, à
l'exposition de la société des amis des arts de Lyon. Voici
ce jugement, assez mitigé du reste :
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La sculpture est
toujours de tous les arts plastiques celui qui attire le
moins la foule, celui qu'elle comprend le moins et envers
lequel elle professe par là même le plus superbe
dédain. Il est juste de dire pourtant que l'Odalisque
de M. Pradier a excité chez quelques personnes un
certain intérêt de curiosité. M. Pradier est un
artiste qui s'attache de près à la nature, et qui ne
l'abandonne jamais; rarement il l'interprète et le plus
souvent il la laisse parler toute seule, voilà pourquoi
l'idéal manque à son talent; mais si l'élévation de
la pensée lui fait défaut, l'habileté de la main vient
la remplacer sur-le-champ. L'Odalisque en est
une preuve; cette figure n'est qu'une imitation savante,
artistique, pleine d'intelligence de la réalité, et
rendue avec une étonnante habileté de ciseau; le
mouvement de la tête est peut-être bien un peu forcé,
de plus le côté gauche du visage forme une saillie plus
prononcée que la partie droite; la pose n'est pas
également heureuse de tous les points de vue; de face la
cuisse et le bras allongés parallèlement produisent un
effet médiocrement gracieux; mais le modelé des chairs
est partout d'une morbidesse exquise, de même que les
épaules, le dos et les reins sont savamment et
merveilleusement étudiés. » (« Exposition de la
Société des amis-des-arts (7me article) »,
signé J. G.n, Le Rhône, n° 595 (12 février
1843), p. 2).
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Douglas Siler (8/6/2003)
J'étais sur le point de répondre à votre premier courriel quand le deuxième m'est parvenu. Merci infiniment pour les textes et les renseignements concernant l'Odalisque. Je regrette de ne pas en avoir eu connaissance pour le catalogue Statues de chair en 1985, ni pour le 2e vol. de la Correspondance de Pradier où il est (trop peu) question de cette œuvre. Je suis quand même allé à Lyon pour le 1er vol., mais il s'agissait là d'une tout autre affaire. Pradier y est passé en 1824, venant de Rome, pour rejoindre sa maîtresse, modèle de sa statue de Psyché (Musée du Louvre), qui avait quitté mari et enfants pour le suivre à Paris. Voyageant sous une fausse identité, elle n'avait pas compté avec les frères de son époux, marchands à Lyon, qui, dès son arrivée dans la ville, l'ont dénoncée à la police. C'est ainsi que Pradier, arrivant après elle, l'a trouvée enfermée à la prison de Roanne!
Vous trouverez toute cette histoire dans les lettres et les notes de la Correspondance, appuyée en partie par les documents que j'avais dénichés aux archives départementales du Rhône. Lors de ce même passage dans votre ville, j'ai fait quelques recherches aussi aux archives municipales. Il y a vingt ans de cela. Y étiez-vous déjà, par hasard?
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Alexandre Oliva (13/10/2008)
Je suis étudiant à l'université en France en section histoire d'art et archeologie. J'ai pour le mois prochain un exposé noté a faire sur Odalisque de James pradier. Comme je ne trouve que très peu d'informations sur cette œuvre et que j'ai decouvert votre site je voulais savoir si vous auriez quelques informations ou liens internet, voir meme des référence de livres, que je pourais acheter concernant Pradier mais surtout cette œuvre en particulier. Merci d'avance.
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Douglas Siler (27/1/2012)
Je n'ai malheureusment pas pu répondre en temps utile au message précédent. Je ne peux donc, au cas où ce jeune homme s'intéresse encore à Pradier, que le renvoyer aux informations fournies ci-dessus par Gérard Bruyère ainsi qu'au magistral ouvrage de Claude Lapaire, James Pradier et la sculpture française de la génération romantique. Catalogue raisonné, paru en février 2010, qui comporte, outre le catalogue raisonné, une étude approfondie de la vie et de l'œuvre de Pradier, une chronologie sommaire et une bibliographie regroupant à peu près tout ce qui a été écrit sur lui depuis ses débuts au Salon de 1819.
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